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Eaux dormantes

mise en scène Claude Baqué

: Présentation

Note du metteur en scène


"Les métamorphoses du monde me tiennent lieu de pays natal." Nelly Sachs


La pièce fut créée au Deutsches Theater de Berlin, en novembre 2001, dans une mise en scène de Lars Norén. Elle avait alors pour titre Tristano. C’est cette première version en langue allemande, que nous avons traduite dans un premier temps. A l’occasion de sa création à Stockholm l’année suivante, au Judisk Theater, l’auteur a remanié la pièce, qui fut jouée sous le titre de Stilla Vatten. C’est à partir de cette nouvelle version que nous avons, avec Katrin Ahlgren, traductrice et collaboratrice de Lars Norén, effectué notre traduction.


Stockholm, septembre 2001. Ils sont sept à table. Ils ont fini de dîner. Ils parlent de leurs vacances.
Mattias et Judith sont allés en France. En Provence. Ils se sont arrêtés à Bergen- Belsen, mais seulement pour visiter le musée.
Emma et Daniel étaient en Bretagne. Ils sont allés à New-York, aussi. Mais Emma ne s’en souvient pas. Elle ne se rappelle pas non plus le prénom de l’enfant qu’ils ont perdue.
Joseph et Sophie sont allés dans leur maison du Gotland, l’île du Sacrifice de Tarkovski. Trois ruines, qu’ils ont retapées. Mais cet été, ils ont perdu leur désir de maison.
Jonas n’a pas pris de vacances. Il vit dans un centre. Il dit : « Je m’appelle Bruno Bettelheim ».
Mattias est psychiatre, Judith est avocate, Emma est éditrice, Daniel est avocat, Joseph et Sophie sont journalistes. Jonas est autiste.


Ils sont fils, filles ou amis proches de déportés. De rescapés. Dans un pays où l’antisémitisme renaît. Dans une Europe où les néonazis gagnent du terrain. Au seuil d’un millénaire que vient d’ouvrir une nouvelle catastrophe. Ils sont atteints.


Sept personnages en quête d’auteur. Lars Norén nous dit que pendant les trente premières pages, il les tient par la main. Après, il les lâche. Pour écrire sous leur dictée. Pour se laisser conduire vers des zones où il n’aurait jamais pu se rendre seul. La grande force de son théâtre tient en effet dans ces relais de paroles, ces entrelacs de voix qui s’affolent, comme des courants à l’approche de l’abîme.


«… Tes cheveux d’or, Margarete, tes cheveux de cendre, Sulamit…» Paul Celan


Les trois cercles de l’enfer. Nous avons rencontré Lars Norén à l’occasion de la création en France de Bobby Fischer vit à Pasadena, l’une des dernières pièces du fameux cycle des quatuors en huis-clos des années quatre-vingt, qui lui avaient valu d’être considéré en Suède comme « le plus grand auteur vivant depuis Strindberg ». Ses personnages y apparaissaient déjà comme les survivants d’une catastrophe sans nom.


Depuis, Lars Norén est sorti du cercle de l’enfer familial. Lors d’une interview, après la chute du mur, il déclarait : « Seuls les exclus, les discriminés, portent en eux le noyau de la vérité et ce sont eux qui nous ferons accéder à notre propre vérité ». Viendront alors les pièces à ciel ouvert des années quatre-vingt-dix : Roumains, sur les exilés, Une sorte d’enfer, sur les aliénés, Froids, sur les néonazis, ou Catégorie-3, sur les sans-abri. Un théâtre de l’enfer social.


Eaux dormantes est une pièce du troisième cercle. Commencée en 1982, reprise en 1992, elle fut achevée en 2001, après la catastrophe du World Trade Center. Elle traverse les deux premiers moments de son écriture pour atteindre ce cercle qui à la fois les dépasse et les récapitule, et que nous pourrions appeler l’enfer global : une image du monde qui reste fidèle à l’inoubliable des camps et à leur toujours possible retour.
« Ce n’est pas que le passé jette sa lumière sur le présent, ou que le présent jette sa lumière sur le passé. L’image est plutôt ce en quoi le passé converge avec le présent en une constellation » Walter Benjamin


Eaux dormantes est une pièce sur la perte : de la mémoire, de l’identité, du désir.
Du langage même. Notre mise en scène poursuit une recherche entreprise depuis Abîme aujourd’hui la ville (sur les sans-abri), Bobby Fischer vit à Pasadena (sur le secret de famille), Septembre blanc (sur les disparus), Anatole (sur l’éclipse du désir), autour de la représentation au théâtre de ce qui en nous est perdu, oublié. Et par-là même inoubliable.


  • EMMA. Comment elle s’appelle, déjà…
  • DANIEL. On attend. Un temps. On attend que tu te souviennes du nom de

ton enfant.

  • Un temps.
  • EMMA. Non. Un temps. Pardonne-moi. Je n’arrive pas à me souvenir.

Claude Baqué

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