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Divine Party

+ d'infos sur le texte de Alexis Forestier
mise en scène Alexis Forestier

: Paradise party ou L'enclos circulaire

  • Il s'évada de leurs sphères. Il était exposé de tous côtés au brouillard. Une clairière circulaire. L'oiseau phoenix dans les broussailles. Une main fait continuellement le signe de croix sur un visage invisible. Eternelle pluie froide, un chant inégal, comme sortant d'une poitrine qui respire.

Dans l'immédiat prolongement d'Inferno et Purgatory party nous envisageons cette fête de paradis comme une évocation possible de la traversée des différents ciels et ce à travers un ensemble d'expériences - propositions visuelles et auditives - qui traduisent le phénomène de l'ascension de cercle en cercle; il s'agit notamment d'une succession de décollages produits par la lumière, la musique et la diffusion sonore.


La vitesse de défilement s'accroît dans Paradise party tandis que s'opère un certain détachement; reflet sans doute du désoeuvrement des élus qui, toute oeuvre accomplie, n'ont plus que le chant, la danse et les louanges. Cependant la jouissance de la contemplation est sans cesse altérée ou ponctuée de retours vers des visions terrestres et nous choisissons d'accentuer cet aspect en utilisant des fragments de Kafka qui évoquent la présence ou la persistance de la forêt (celle-ci, très présente dans l'enfer et le purgatoire, a totalement disparu au ciel ) et renforcent la métaphore maritime, qui elle, réapparaît dans le paradis. « On pourrait dire qu'elle ne quitte jamais la Comédie: elle fournit comme son fond cosmique, jamais oublié: la terre est entourée de mer. »[1]


Il y a à l'arrière-plan une sorte d'anti-paradis ou la réalité du monde terrestre, la petite aire qui nous rend si féroces, continue non seulement de faire retour mais d'exercer son attraction et par laquelle la notion même de monde céleste s'estompe et devient de plus en plus immatérielle ou impalpable; il demeure un espace circulaire, sphérique, une clairière à ciel ouvert, où séjournent les protagonistes pour effectuer une ronde ininterrompue et manifester une sorte de joie terrestre et confuse, avec ce qu'elle comprend de vanité.


Le visiteur occasionnel - le spectateur - est invité à se frayer lui-même un chemin, à l'instar du lecteur originel du paradis, " lequel reste seul en face d'un message énigmatique, dont il recueille une faible trace, « l'ombre du royaume», les «miettes du pain des anges». "[2]
La représentation glisse peu à peu vers des moments de danse ou de tournoiement évoquant de manière lointaine une atmosphère de cirque.


Dans l'Enfer les textes de Kafka n'entretiennent pas nécessairement une relation directe aux extraits de la Divine comédie. Ils interviennent comme des ponctuations sonores qui donnent le relief et la couleur musicale au paysage scénique. Ils peuvent tenir lieu de commentaire sur la représentation elle-même, donnant la mesure de son aspect elliptique et confus, de l'hétérogénéité de ses composantes; ainsi ce poème qui occupe une place centrale :
Je ne connais pas le contenu Je n'ai pas la clé Je ne crois pas les bruits Tout cela est compréhensible Car je suis moi-même tout cela.


Ou celui-ci lancé comme un cri et mêlé à des extraits des chants IV et V, lorsqu' au moment du passage du premier au second cercle de l'enfer l'espace vient à faire défaut et semble être réduit à l'expression d'une plainte:
Rien ne me retient
Portes et fenêtres ouvertes
Terrasses vastes et vides


Un autre poème de Kafka interroge la place du désir, en tant qu'il serait le vecteur d'un appel ou d'une poussée vers une extériorité conduisant inéluctablement à des fins désastreuses, tragiques ou culpabilisantes.
Ah, que d’apprêts pour nous ici
Un lit, une couche sous des arbres,
Ombre verte, feuillage sec,
Peu de soleil, senteurs humides,
Ah, que d’apprêts pour nous ici !
Où donc nous pousse le désir ?
Gagner ceci ? Perdre cela ?
Insensés nous buvons la cendre
Et nous étouffons notre père.
Où donc nous pousse le désir ?
Où donc nous pousse le désir ?
Il nous pousse hors de la maison.
Tentante était la flûte, tentant le frais ruisseau.
Ce qui t’apparaissait patiemment
Bruissait dans la couronne de l’arbre
Et le maître du jardin parla.
Si je tâche de scruter dans ses runes
Le spectacle du changement
Mot et ulcère…


Le dernier poème d'Inferno party à la manière d'un court récit décrit une existence vouée à l'immobilité et à la tentation d'y mettre un terme, il y est question d'une nostalgie à l'égard du présent même et de l'avenir qui ne peuvent être vécus. La vie terrestre se déploie ici dans une temporalité suspendue à un espace intermédiaire annonçant le cadre spatio-temporel du purgatoire et de l'attente en souffrance :
Ma nostalgie allait aux anciens temps
Ma nostalgie allait au présent
Ma nostalgie allait à l’avenir,
Et avec tout cela je meurs dans une cabane de garde,
Dans un cercueil posé verticalement au bord de la route
Qui est depuis toujours une propriété de l’État.
J’ai passé ma vie
A me retenir de la démolir
J’ai passé ma vie à me défendre de l’envie d’y mettre fin.


A contrario les poèmes de Kafka inscrits dans Purgatory party, entretiennent le plus souvent une relation étroite avec les motifs qui peuplent l'imaginaire du Purgatoire de Dante : épreuves de passage, franchissement de montagnes et de fleuves, vision d'une humanité, réduite à une existence concentrationnaire ou une condition misérable.


A cet égard deux des textes de Kafka évoquent un purgatoire terrestre, où une humanité larvaire, ayant perdu le chemin, se meut semblable à un cortège ou une foule d'âmes lentes.
Rêve et pleure, pauvre race
Tu ne trouves pas le chemin, tu l'as perdu,
Hélas! est ton bonsoir,
Hélas! est ton bonjour.
Je ne veux rien, rien que m'arracher
Aux mains qui se tendent
Pour emporter dans l'abîme mon corps évanoui.
Je tombe pesamment dans des mains bien préparées.
Résonnant dans l'espace lointain des montagnes,
L'écho de paroles lentes. Nous écoutions.
Le corps, hélas, ils le portaient, larves d'enfer,
Grimaces voilées, étroitement serré contre eux
Un long cortège, Long cortège porte l'être inachevé.


Celui-là où les hommes sont décrits comme les habitants d'une profonde nuit, inapte à retrouver les conditions d'un séjour terrestre, peuple rampant et condamné à l'exil :
Enfoui dans la nuit. Être enfoui tout entier dans la nuit, comme il arrive quelquefois qu'on enfouisse la tête pour réfléchir. Tout alentour les hommes dorment. C'est une petite comédie qu'ils se donnent, une innocente illusion, de penser qu'ils dorment dans des maisons, dans des lits solides, sous des toits solides, étendus ou blottis sur des matelas, dans des draps, sous des couvertures; en réalité, ils se sont retrouvés comme jadis, et comme plus tard, dans une contrée déserte, un camp en plein vent, un nombre d'hommes incommensurable, une armée, un peuple, sous un ciel froid, sur la terre froide; chacun s'est jeté sur le sol là où il était, le front pressé sur le bras, le visage tourné vers la terre, respirant paisiblement. Et toi tu veilles, tu es un des veilleurs, tu découvres le prochain veilleur en agitant le tison enflammé que tu prends au tas de brindilles, près de toi. Pourquoi veilles-tu? Il faut que quelqu'un veille dit-on.


Certains poèmes, en créant un arrêt, font écho ou apportent une réponse, un prolongement littéral à certains événements traversés dans l'ascension du purgatoire. Au moment de l'arrivée sur la plage du purgatoire :
J'entrai avec une barque dans une petite baie naturelle.


Lorsque les obstacles se font plus présents et entravent la montée au purgatoire :
Il cherchait du secours dans les forêts, il franchissait d’un bond les contreforts des montagnes, il courait aux sources des fleuves qui se trouvaient sur sa route, il battait l’air de ses mains, il soufflait par le nez et la bouche.


Lorsque l'ange portier ouvre la porte du purgatoire puis la referme derrière Virgile et Dante, ce dernier a le sentiment d'entendre un chant, une voix mêlée au doux son de la porte :
Un chant au-dessous de moi, un claquement de porte dans le mouvement et tout est perdu.


Enfin l'avancée vers la lumière, l'aspiration vers le haut, l'ascension qui ne cesse d'éclaircir la montagne du purgatoire se traduit par ce chant qui pourrait être un appel à Béatrice:
Tout oublier. Ouvrir la fenêtre. Vider la chambre. Elle est traversée par le vent.
On ne voit que le vide, on cherche dans tous les coins et l'on ne trouve rien.
Prends-moi dans tes bras, c'est l'abîme, accueille-moi dans l'abîme,
si tu refuses maintenant, fais le plus tard.
Prends-moi, prends-moi, tissu de folie et de douleur.

Notes

[1] Jacqueline Risset, Dante écrivain

[2] Jacqueline Risset, Dante écrivain

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