AXEL. On m’attend quelque part. Un enfant criminel peut-être ? Il lui manque un masque pour dévaliser la boutique de son père, il m’attend, il ne peut rien seul, il lui faut la musique, (...) on m’attend, un prêtre m’attend, il est assis dans l’ombre, il regarde ses mains, et quelque chose le retient de se jeter tout à fait dans la folie de l’amour de Dieu, il a besoin d’une échelle, je mets les mains comme ça, il pose le pied dessus et hop ! par-dessus les murailles, la vraie vie enfin ! On m’attend quelque part avec une oeuvre incomplète, un livre échoué, une symphonie sans ordre, il faut que j’apporte la nacre, les points d’exclamation et les fanfares, on m’attend quelque part dans une ville portuaire, ce sont des bateaux usés pleins de travailleurs mornes qui ne voient plus la mer, on m’attend pour que la mer redevienne ce livre impénétrable qui suffit pour une vie, on m’attend, les hommes, les enfants, les femmes, et aussi les forêts qui ont besoin de monstres, et les récits qui ont besoin d’espace, les pierres éparpillées qui pourraient être une cathédrale, on m’attend et parfois on m’espère, comme cette femme à la table de baccara qui caresse ses vieux bijoux et ses visons fanés, il faut que je lui murmure à l’oreille la phrase qui enflamme : “tu as vécu” et je l’aide à descendre dans la mer, qui sait, il y a même des morts qui m’attendent comme cette partition oubliée d’un compositeur oublié et que je vais porter dans les opéras avec l’enthousiasme d’un jour de Pâques, il y a des drapeaux pour la manifestation des sans-papiers, quel travail !

Olivier Py, Le Soleil, acte 4 (éd. Actes Sud-Papiers, 2011, p. 85)