theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Des femmes qui nagent »

Des femmes qui nagent

+ d'infos sur le texte de Pauline Peyrade
mise en scène Emilie Capliez

: Note d’intention

par Émilie Capliez, metteuse en scène

À l’origine de ce projet...


... il y a un rêve de jeune fille, le mien, celui de devenir un jour actrice. Mon admiration pour celles que je contemple, fascinée, aussi bien à l’écran que sur les plateaux de théâtre. Elles s’impriment sur ma rétine. Elles sont en tout point « parfaites », me font vibrer, m’attirent. M’effrayent sans doute un peu aussi.
Plus tard, il y a mon désir de prendre la parole différemment, de changer de point de vue, de porter mes propres créations, c’est mon cheminement personnel, celui qui m’a conduite vers la mise en scène. Il y a mon regard de femme aujourd’hui, devant une nouvelle génération de comédiennes et d’actrices, ce qu’elles portent, ce qu’elles incarnent, ce qui a changé et ce qui restera immuable. C’est que la voie n’est pas encore tout à fait libre.
Il y a mon goût pour les auteurs et les autrices vivantes, le bonheur que j’ai à travailler avec, et cette rencontre déterminante avec Pauline Peyrade.
Il y a son écriture, si puissante, musicale, en même temps brute et onirique, qui offre aux interprètes des parcours d’une densité rare. Comme les actrices de mon enfance, et peut-être pour les mêmes raisons, ces textes m’interpellent et m’attirent.
Il y a nos échanges, nos expériences partagées et notre goût commun pour le cinéma. Il y a cette envie, cette nécessité pour moi aujourd’hui de porter un projet théâtral au service d’une « autre » histoire des femmes. Des femmes de cinéma. Des femmes au cinéma.
De Marilyn Monroe à Romy Schneider en passant par Delphine Seyrig.
De Gena Rowlands à Naomi Kawase, en passant par Adèle Haenel et Chantal Akerman.
Toutes ces femmes seront les héroïnes de ce projet. Leur rôle dans le cinéma s’apparente à une histoire du visible et de l’invisible, une histoire d’images et de regards.


Un projet d’écriture singulier


Des femmes qui nagent est un projet d’écriture mené par Pauline Peyrade dans le cadre de son association à la Comédie de Colmar. Ce texte a fait l’objet d’échanges et d’aller-retours durant presque deux ans entre le plateau et l’écriture. Pauline s’inspire ici de scènes de films, de témoignages et d’archives pour réinventer un récit qui lui est propre, tout en modernité et fulgurances.
Il est composé d’une première partie intitulée « Poème » qui déploie un montage de fragments hétérogènes convoquant des figures d’actrices ou de réalisatrices. Certaines sont immédiatement reconnaissables, d’autres demeurent anonymes, mais là n’est pas le cœur du projet. Il s’agit plutôt de créer à la façon des impressionnistes un portrait, par touches, de toutes ces femmes, et de proposer un regard singulier sur leur rapport au cinéma, à la fiction et à la pulsion scopique que cet art peut provoquer. Le foisonnement de tableaux inspirés de films ou de tournages ouvre une multitude d’adresses et offre aux quatre comédiennes un terrain de jeu en perpétuel mouvement. Tour à tour, elles y incarnent l’icône figée dans son cadre, l’actrice en répétition, la réalisatrice en création, ou encore l’anonyme spectatrice.
L’écriture de Pauline nous invite à faire varier notre focale : avec elle, nous naviguons de films en films et quittons le bord des piscines de tournage de Deray ou d’Ozon pour suivre Marylin Monroe dans la composition millimétrée des gammes de son visage avant de nous immerger dans le Mulholland de Lynch. Une actrice se tourne vers nous et dresse un état des lieux brutal des assignations dont sont victimes les femmes au cinéma, une autre en fée de Peau d’âne décrit une scène érotique tout droit sortie d’un film de Catherine Breillat.
Cannes 2019 et les Césars 2020 surgissent à la faveur d’un podium sur lequel Delphine Seyrig vient poser une voix soupçonneuse, une Marie-Antoinette mangeant du pop-corn traverse le plateau, Akerman danse avec les actrices de Toute une nuit, quatre Sigourney Weaver délirent en chœur les métamorphoses du scénario d’Alien sur lequel l’actrice-productrice parvient à reprendre le pouvoir... Ludique, nerveux, irrévérencieux, délirant, le montage de Pauline Peyrade se vit et se traverse comme un tourbillon rythmique dont le plaisir des actrices à se jouer de leurs incarnations déborde et inonde le plateau, faisant fi des chronologies, de la logique, des clichés.
La seconde partie du texte, plus courte, s’intitule « L’ouvreuse ». Ici, nous changeons radicalement de théâtralité et quittons les plateaux pour nous en tenir au seuil de la salle de cinéma. Dans cet envers du décor, loin des paillettes, une prose hyper-réaliste s’empare du quotidien, banal, d’une ouvreuse de cinéma. En contre- point du baroque foisonnant de notre première partie, je travaille ici à dessiner un théâtre minimaliste tramé de micro-évènements, de petites tragédies tues, de grandes joies invisibles, du point de vue d’une anonyme dont nous écoutons le monologue intérieur. Ramasser le pop-corn sous les sièges, prendre une réservation, écouter les conversations, nettoyer les toilettes, se glisser dans la salle, s’ennuyer. Les actrices de la première partie sont encore présentes, mais figurantes simplement, prises dans une petite foule de femmes spectatrices. La délicatesse et la précision des gestes et des échanges est pour moi un hommage rendu à la grâce inhérente de toute vie, qu’elle soit nue et simple ou spectaculaire, à la capacité de fiction que chacun·e de nous portons, spectateur·ice ou créateur·ice, à la poétique matérielle et invisible des actions quotidiennes.


Un spectacle visuel, sensoriel et chorégraphique


À travers ce spectacle, je cherche à développer un travail visuel et plastique où le spectateur, immergé dans le processus de création d’images et de tableaux en direct, aura la possibilité d’assister à la construction de figures ou d’instantanés de films. Sans tomber dans le systématisme, j’aimerais que la mise en scène interroge le renversement permanent de la fascination en violence, montre l’opération de construction et de destruction d’un cliché d’actrice, laisse voir comment une image emprisonne et comment une autre peut libérer.
L’espace travaillé avec Alban Ho Van est un hall d’entrée de cinéma presque réaliste, où chaque élément – portes d’où s’échappent des musiques de films, escalier à moitié caché par le velours d’une tenture –, chaque recoin – du stand de popcorn à la vitre de la billetterie en passant par la chaise de l’ouvreuse – est susceptible d’accueillir l’apparition d’une scène de film pour se métamorphoser soudain en loge, chambre, intérieur enfumé de voiture, cuisine ou escalier vertigineux. Dans cet impossible et infini lieu de tournage, les actrices évadées des salles voyagent et se racontent pour se réemparer (peut-être) peu à peu de la fabrication de leurs fictions.
La création scénographique étant envisagée en dialogue constant avec le son, la lumière et le mouvement, certains fragments descriptifs vont agir comme des « paysages » pour lesquels je mène au plateau un travail d’écriture corporelle précis. Ces tableaux atmosphériques, qui prennent le relais du texte ou même parfois s’y substituent, invitent à opérer par touches successives ; plutôt que de révéler une seule histoire au sens linéaire du terme, je construis au fur et à mesure une superposition de tableaux, d’images et de textes qui répondent à l’effet de montage propre au scénario que nous propose Pauline.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.