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Dans la forêt lointaine

+ d'infos sur le texte de Gérard Watkins
mise en scène Gérard Watkins

: Entretiens avec Gérard Watkins

par Pierre Bachelier

Il est question d'une quête que mènent les personnages dans ta pièce. Ils vont au plus profond de la forêt et c'est seulement une fois dans l'ombre que la lumière peut se faire.


Leur humanité extrême. Le principe de l'écoute. Savoir trouver dans la parole une écoute ; la possibilité de créer des liens nouveaux entre les personnes. Un état dangereux ou non de sensibilité qui permet aux uns et aux autres de s'entendre L'idée qui devient un geste pendant l'acte d'amour pour Amar ?
Tous les personnages ont ce parcours. Maximilienne trouve son humanité extrême à travers sa boîte noire. Amar veut reproduire des idées originelles vierges dans des gestes pendant l'acte d'amour. Mais il est pris au piège de notre tragédie à nous tous, qui est celle de la conscience et du sang-froid ; d'une certaine forme de solitude. Amar est un être sacrifié car il ne trouve pas son humanité extrême. C'est un prototype de notre conscience occidentale. Quelqu'un qui a hérité de tous nos problèmes. Il porte un poids énorme sur ses épaules. L'humanité extrême s'exprime dans un duel qui a lieu dans la forêt entre Cynthia et l'Echangeur. On peut dire qu'il y a un canevas sur lequel les personnages sont orientés sur fond d'une histoire de guerre et d'un enlèvement. Une histoire de manipulation, de conspiration. Les personnages sont envoyés sur le terrain de ce conflit. Et quand ils se retrouvent face à face dans la forêt, cette guerre n'a pas lieu. À la place se dessine un nouveau champ et les personnages échappent à la fatalité. Toute l'histoire est déviée dans la forêt. L'histoire a été écrite pour les personnages et ils la déjouent. L'humanité extrême vient de là, de comment l'histoire écrite pour le personnage est sans cesse déjouée par lui.


On a parfois l'impression d'assister à une fable unique éclatée entre les six personnages.


Le problème du personnage de l'Auteur dans la pièce va être de redéfinir le " je " et le " nous ", l'individu et le groupe. Au départ il se méfie de tout ce qui pourrait " individualiser " ce groupe. Le combat va être de retrouver la part d'individu, de possibilités entre les hommes. En écrivant son texte, l'Auteur se fait la guerre à lui-même. D'où la division et le groupe éclaté. Le personnage de l'Encadreuse travaille constamment à lui faire comprendre les distinctions entre les personnages. C'est comme si le cauchemar pour lui au départ était que les six personnages soient une espèce d'ensemble, qu'on n'arriverait pas à comprendre les différences et les conflits. Et tout d'un coup les conflits surgissent. On voit que les personnages sont topographiquement, géographiquement et socialement différents. On va ensuite prendre ces prototypes d'humanité et les jeter comme dans un jeu de quilles dans une histoire type d'enlèvement qui pourrait être celle de la guerre de Troie ou même du Ramayana. De la préparation d'une guerre, d'un règlement de compte entre deux pôles opposés. La guerre que l'Auteur mène à lui-même est de retrouver l'humanité. Il ne faut pas oublier que l'histoire naît de la prison, de l'enfermement. Et l'Auteur réussit à se libérer. Il ouvre la porte de l'humanité retrouvée. Il se remet à observer et à écouter les êtres pris individuellement. La grande tragédie de notre époque est de se rendre compte que tout nous a été mâché depuis le départ et que notre destin est tout tracé d'une certaine manière. Et cette condition-là, puisqu'il s'agit aussi d'un texte historique, c'est tout ce qui s'est passé depuis exactement dix ans, depuis la chute du mur. L'Auteur a traversé cette période comme une espèce de solitude et là il entend tout d'un coup des nouvelles voix qui émergent. De nouvelles possibilités de changement dans la parole et la transgression des règles du destin.


Deux personnages semblent échapper à tout cela : la Femme oiseau et Lesinge.


C'est leur part animale. Que devient l'homme dépourvu de conscience ? Lesinge prend tout comme un jeu. La vie pour lui est plaisante quand il y a absence totale de morale. C'est un personnage très jouissif. Il reste lui-même jusqu'au bout. Il ne change pas. C'est une figure tragique de par son absence de conscience. Il est entièrement livré à sa part animale, sexuelle. Dans le personnage de Lesinge, on peut voir l'homme nouveau.


Mais tous les personnages sont un peu des mutants non ? Même l'Echangeur, au fin fond de la forêt n'est pas très sûr de son fait.


Non, il n'est pas sûr de son fait du tout. C'est sa fragilité qui fait sa force. J'ai gommé au maximum la référence au sous-commandant Marcos. Très volontairement dans la progression de l'écriture du personnage. C'est un personnage basé sur une recherche et une connaissance intime de certains thèmes que je trouvais forts et intéressants. À travers son masque, le sous-commandant Marcos a travaillé très longtemps sur le symbole, la figure. Il a su magnifiquement se mettre en avant et en jouer comme d'une arme. Très récemment, il est allé vers un effacement, une épure. C'est donc quelqu'un qui a compris que sa plus grande force était sa vulnérabilité. C'est comme ça qu'il a pu déjouer tous les pièges dans lesquels un tel mouvement aurait pu tomber. Et ce que je trouve exemplaire, c'est qu'il en a tiré des idées fortes. Une pensée longuement digérée d'expériences de liberté. C'est exactement ce qui manque dans un tas d'analyses de notre époque. Et cette pensée, il le dit lui-même, est vulnérable, antididactique. Ça va encore plus loin dans ma pièce puisque le personnage de l'Echangeur, à la manière d'un héros chez Victor Hugo, tombe amoureux. C'est ça que Cynthia va réussir à extirper. La confrontation entre Cynthia et l'Echangeur va permettre de comprendre le langage de l'un et de l'autre. Leur rencontre sera forte et ils vont pouvoir se livrer leur vision des choses. Un des questionnements de l'Echangeur, c'est la remise en question de l'utilisation des médias et la recherche d'un nouveau champ, d'une autre voix possible, d'une autre façon de se faire entendre. Et il pénètre su ce dernier terrain inconnu, celui de l'amour. Il est prêt à tout perdre pour ça. C'est là où sa pensée bascule. Elle bascule parce qu'il est prédisposé au sentiment amoureux et que c'est quelque chose de très li à la naissance de sa pensée. Le premier à avoir cette intuition c'est Amar, avec l'idée qui devient un geste pendant l'acte d'amour. Mais Amar est toujours un pas en avance sur l'histoire. Il est trop conscient. La question de l'héritage est aussi posée. De quel fardeau hérite-t-on ? Pour Amar c'est la mort de son frère. Pour revenir au Ramayana, un des sens premiers du texte c'est le départ, la séparation. Les Indiens assimilent ça à la tragédie de la séparation. Tout naît de l'histoire de Rama qui, dans la forêt, tue deux oiseaux qui faisaient l'amour. De là naît la tragédie. Dans ma pièce, tous les personnages cherchent à trouver quelque chose qui puisse colmater la douleur du départ. Dans sa prison, l'Auteur observe un monde déchiré. Un monde où deux directions opposées se dessinent. Mon choix délibéré d'un théâtre épique serait de redonner sa juste place à l'homme. Car c'est quelque chose dont on a voulu nous priver. C'est une chose qui me hante beaucoup.


Quelle est cette chose dont on a voulu nous priver ?


On a voulu nous priver de la réflexion. On a voulu nous priver d'une part d'action plus grande.


Mais quelque part, cette impression que les choses nous échappent est normale. Nous sommes la génération de la pensée unique, d'un monde monopolaire et non plus bipolaire. Dans la religion Vaudou, pratiquée par plus de 80 M de personnes dans le monde, les dieux sont des forces contradictoires. Et il s'agit pour l'homme de créer une force qui invite les dieux à s'asseoir, une force de conciliation. La nouvelle religion serait donc celle de l'écoute. Il faut voir comment ça se travaille.


Dans tes textes précédents, tu partais de faits de la vie de tous les jours pour aller vers la fable. Ici tu es parti de la fable, le Ramayana, pour aller vers une réalité. Je trouve qu'on est beaucoup plus proche du discours dans Dans la forêt lointaine.


Non, je pense au contraire qu'il y a beaucoup moins de discours dans ce texte. Je suis en réalité parti des personnages. J'ai travaillé le personnage de l'intérieur. Le travail sur l'écoute des personnages et de leur réalité concrète était beaucoup plus important que la fable elle-même. C'est beaucoup moins un discours que mes précédents textes, mais pour s'en rendre compte il faut l'expérience du plateau. On peut avoir l'impression que la forme du texte ressemble à un livre moncelé dans la succession de soliloques. Mais quand on y regarde de plus près, on est très loin du discours. Plus proche de l'humain et de l'émotion. Il existe toujours une forme piégeante, mais il suffit de prendre un à un les événements décrits. C'est peut-être un principe shakespearien que j'utilise, qui est celui de prendre les éléments comme faisant partie de notre vie ; comme des choses très concrètes. Leur cosmogonie, leurs rapports avec l'environnement est quelque chose de très fort. Et ce qui est intéressant dans le fait de partir du personnage, c'est que les possibilités d'échange entre les êtres sont insondables. Et c'est comme ça que je conçois le théâtre. Et je me dis que ce manque de rapports que je perçois au théâtre, c'est comme une violation.


Mais c'est peut-être parce que tu pars d'une forme très écrite que tu es obligé de travailler l'humain derrière.


Bien sûr. Je ne sais pas personnellement pourquoi on a mis l'écriture au centre. Pourquoi s'efforce-t-on a rendre l'écriture visible. À ce propos, j'aime beaucoup ce qui dit Céline. Il dit que devant un texte, on est comme sur un bateau. On est emporté quelque part et l'on s'en fout de la salle des machines, tout ce qu'on veut c'est voyager. Céline pouvait passer de 6000 mots à 800 ou 1000 mots, mais il ne voulait pas que son écriture soit visible. Pourtant son style est omniprésent, mais il y a une volonté d'effacement, de cacher les rouages. Et pour moi il est très important de placer les rapports au centre. Je trouve que les rapports entre le théâtre et l'écriture aujourd'hui sont très scolaires. On cherche une belle écriture ! Et même jusque dans l'acte théâtral lui-même, on cherche à la mettre en avant. Je ne vois pas l'intérêt. Ce qui est intéressant, c'est de voir quelles sont les possibilités d'échange, de conflits, d'amour. Sans ça on est purement dans la frime. Et le principe d'épuration qu'on travaille avec les acteurs est lié à cette problématique-là. À la part de responsabilité des mots, de ce qu'ils veulent dire. Comment utiliser le dialogue pour faire avancer une action ? Je tire ce fil-là. Il y a une histoire dans Dans la forêt lointaine qui avance dans la parole. Et c'est à ça que je passe le plus de temps dans l'écriture. Un défaut de mes derniers textes était peut-être une trop grande arrogance par rapport à ça. Trop d'ironie. Ça avançait parfois par aphorismes. Ici on est devant une parole plus intime. La fiction est toujours créée par la poétique. C'est elle qui contient la réalité du personnage. Chaque personnage raconte une histoire, mais elle met du temps à décanter parce qu'elle démarre par une poétique. Tout le travail de l'écriture est de donner une réalité humaine à cette poétique. Et c'est ça qui prend le plus de temps. Je crois que la sérénité au niveau de l'histoire de Dans la forêt lointaine, les risques que j'ai pu prendre sur le plan humain avec les personnages viennent du fait que je me serve du prototype du Ramayana, de son intemporalité, pour ne pas obéir à un parcours donné. Et ça donne une fable ultra contemporaine. C'est ça qui est surprenant.


Mais ce n'était pas ça l'objectif de départ ?


Non ? L'idée, c' était d'aller dans la forêt. Je ne savais pas où j'allais me retrouver. L'idée était de me laisser surprendre par les personnages. L'acteur est aussi constamment face à cette surprise. Il y a la première couche. Après, tout vient du travail de l'acteur.


Entretien réalisé par Pierre Bachelier

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