À partir des portraits de ces 220 hommes croqués en quelques mots ou quelques lignes se dessine un portrait de la sexualité masculine avec ses récurrences et ses particularités.
L’intelligence, la clarté, les colères, l’humour et surtout la connaissance de l’autre qu’avait la Catin révolutionnaire traversent ces notes succinctes.
Les listes ont quelque chose de monotone, de fastidieux ? Sûrement.
Et celle des Clients de Grisélidis-Solange n’échappe pas à cet a priori. Pourtant elle sera dite intégralement. Parce que chaque prénom est celui d’un homme qui, au-delà d’inévitables et fortuites ressem-blances avec les autres habitants du Carnet, est unique. C’est cela que l’on entend quand le Carnet est dit à voix haute.
Parce que ce Carnet est une somme, « une vie, une œuvre ».
En choisir des extraits – et selon quels critères ? – donnerait à ces notes un caractère anecdotique que le Carnet n’a pas.

Dire le « très privé » publiquement est peut-être encore dérangeant mais pas anecdotique. Et puis le style de l’écrivain et le ton inimitable de la femme sont dans ces notes de travail, on les reconnaît : ceux de ses autres écrits.

Ce qui m’intéresse enfin dans le Carnet, mémoire de la réalité des passes de Grisélidis et précis de ses gestes professionnels, c’est qu’il n’est pas un discours sur(plombant) la prostitution.
Pour un hommage réciproque des hommes à cette femme et de cette prostituée, artiste et écrivain à ses clients, dire ce texte en public dans son intégralité, c’est en proposer une représentation nue, d’abord un théâtre des voix : texte parlé et poèmes chantés.