Mon choix s’est donc fait rapidement. Marius m’a également proposé de traduire la pièce, ce que j’ai accepté. Comme souvent dans mon travail avec les comédiens sur le plateau j’utilise mon rôle d’intercesseur pour leur faire partager mon expérience des textes allemands. La traduction ne peut transmettre ce que la langue originale transporte avec elle comme informations relatives au ressenti. Dans mes précédentes mises en scène, je crois avoir toujours mis en scène le texte allemand bien plus que le texte français. La traduction est déjà une interprétation, elle est donc le premier chemin vers la mise en scène. Et pour ma part, il m’a toujours été difficile de m’en remettre à un intermédiaire qui rajoute en quelque sorte un inévitable filtre. Il y a aussi une question pratique, je ne dépends de personne, ce qui raccourcit considérablement les délais, délais souvent préjudiciables pour des auteurs comme M. von Mayenburg qui réagissent d’une certaine manière aux questions de notre temps.

Je n’oublie jamais cette origine de la langue qui est aussi une partie de mon être. Ayant également fait ma formation théâtrale en grande partie en Allemagne, j’ai en moi cette dualité, un rapport schizophrénique au théâtre. La France et l’Allemagne, deux pays proches géographiquement, mais surtout deux histoires et deux manières de s’approprier l’art et la vie. Pour moi cela reste encore un combat de chaque jour, une force aussi. Le rapprochement des deux pays est né d’une volonté politique, chez moi elle est simplement naturelle, mais pas exempte de tension pour autant. J’ai par exemple souvent l’impression d’être nulle part vraiment à ma place. Je trace donc mon chemin entre ces impossibilités, les impossibilités constituantes, qui sont à la source même de mon action pour tenter de suivre une ligne toujours agitée. CIBLE MOUVANTE participe pleinement à ce mouvement.

Mikaël Serre