Cet été j’étais avec Marius von Mayenburg au bord d’un lac à Munich, attablés nous mangions des saucisses, et non loin de nous des enfants jetaient des pierres sur des cygnes blancs aux becs ouverts. Il m’a alors demandé quels étaient mes projets. Je lui ai répondu que j’avais beaucoup de mal à trouver un texte qui réponde ou révèle chez moi des questions que je ne me pose pas. Que j’avais envie de parler des enjeux de notre société, mais que le sérieux avec lequel ces sujets étaient souvent traités ne me correspondait pas du tout. Je savais juste que je voulais travailler sur un texte sans personnages, sans hommes et femmes qui n’arrivent pas à s’aimer ou qui s’ennuient, et sans conflits familiaux, et qu’au vu de la production théâtrale actuelle et passée, mes choix se trouvaient donc considérablement restreints. Je voulais aussi une pièce qui aille encore plus loin dans la dislocation du drame que «L’enfant Froid», mais sans tomber dans la mise en pratique de la théorie du «post-dramatique», de la fragmentation et de la déconstruction parfois plus symptomatique d’une défaillance que l’aboutissant d’une proposition dramaturgique. Je restais assez flou, car souvent l’envie me vient avant tout de la confrontation, de la rencontre avec un objet/texte ou une personne, et non d’une curieuse inspiration intérieure. Il m’a alors dit : j’ai quelque chose pour toi ! Je crois que nous en sommes plus ou moins restés là à ce sujet, jusqu’au moment où, quelques semaines plus tard, j’ai reçu CIBLE MOUVANTE. Il m’a envoyé sa pièce sans autre commentaire.

Après lecture et relecture, j’ai souhaité réunir rapidement des artistes autour de ce projet qui touche à l’émotion de notre temps et auquel je voulais absolument me confronter artistiquement.

CIBLE MOUVANTE propose de nous plonger dans un théâtre d’anticipation sociale dans la plus pure tradition anglo-saxonne, à l’image de George Orwell, James Graham Ballard et Bret Easton Ellis. Il y a quelques années j’avais souhaité adapter «Less than zero» de Bret Easton Ellis, mais l’impossibilité d’obtenir les droits m’a vite fait renoncer à ce projet.
C’est extrêmement tentant de s’attaquer à ce «genre» au théâtre et, à ma connaissance, il y a eu très peu de tentatives. L’auteur se jette dans cette expérimentation tout en maîtrisant parfaitement la spécificité du théâtre et ses lois incontournables. Mais, ne nous détrompons pas, Marius explose vite le genre. Comme souvent dans le roman d’anticipation, le sujet traité ne fait donc pas appel à de la pure science-fiction, il s’agit bien de parler de notre époque. Pour résumer rapidement on pourrait dire que CIBLE MOUVANTE est la création d’un avenir imaginaire afin d’exacerber une problématique aussi politique qu’existentielle, et cela, dans une veine satirique.

Ce texte répond donc en premier lieu à mes attentes de metteur en scène. Je crois que le théâtre ne doit pas se barricader, il doit s’ouvrir, faire face et s’ancrer dans la société sans avoir peur de blesser et se blesser. Je prends volontiers ce risque, aussi pour parler de l’humain, des visages que je croise chaque jour. Champ libre donne la possibilité de parler des enjeux de notre temps sans passer par le discours ou l’analyse sociologique. Les acteurs comme auteurs à part entière de leurs gestes, du drame, mais aussi les textes d’auteurs contemporains sont pour moi les premiers liens entre la vie et le théâtre.

Mikaël Serre