: Du terrorisme...
CIBLE MOUVANTE fait échos à la méprise de l’histoire sous une forme satirique acerbe, qui fait autant appel à l’inconscient qu’a la révolution permanente qui agite notre monde. Et si tout ça n’était qu’une grande méprise, et si le monde souffrait avant tout d’une déficience totale de capacité de jugement des actes et des réactions ? La machination développée par l’intrigue de CIBLE MOUVANTE n’est pas sans rappeler les arguments, puis les démentis qui ont déclenché la guerre en Irak et le nombre d’arrestations abusives constaté à travers le monde.
Utiliser une arme de guerre qui a servi en Afghanistan comme Elsa pour surveiller les quartiers populaires... Que penser de cette précipitation de l’imaginaire dans le réel?
Ne sommes-nous pas tous des terroristes potentiels pour notre voisin, comme nous sommes des voleurs potentiels pour le vigile qui nous épie au rayon surgelé du Super U? Ce vigile, de quoi rêve-t-il au fond? Ne sombre t-il pas, alors qu’il passe dans le rayon, dans une sorte de divagation aussi tyrannique que surréaliste à notre égard ? Et les dirigeants, les vigiles du monde, à l’agressivité contenue, n’observent-ils pas tous ces enfants comme de futurs assassins, tout comme ils voient dans tel ou tel pays une menace imminente.
Cette pièce propose de nous méfier de nous-même avant de nous méfier des autres. Pourquoi en effet un enfant rêve-t-il de faire exploser le monde quand son regard ne trouve plus le sens, quand le sentiment d’une faute qu’il ne comprend pas lui même, le plonge dans le mutisme et dans des rêveries qui l’accablent autant qu’elles accablent le monde? Car pour finir, ce théâtre d’anticipation sociale, cette histoire de science-fiction n’est peut-être et en définitive, que le produit du cauchemar d’une petite fille qui se sent coupable vis-à-vis de ses parents d’avoir taché la moquette de ses premiers écoulements menstruels... Elle devient femme en passant par la case persécutée, et se rêve déjà en «Terrorist Star»! Le cauchemar de la petite fille se précipite étrangement dans notre réel. N’est-elle pas notre ELSA?
CIBLE MOUVANTE est donc une oeuvre critique au sens où l’entendait F.Kafka ou A. Artaud, elle en appelle à notre vigilance sans jamais culpabiliser, mais en libérant les forces qui survivent dans nos rêves. À l’inverse du politique, la pièce ne contient donc aucune solution, aucune promesse, aucune proposition pour attirer des partisans. Ici le « déterritorialisme » des esprits et des situations rime avec l’incapacité de se confronter à l’inconnu.
Quand le théâtre se donne les moyens de réagir rapidement, il a tout à y gagner. Souvent les échéances de productions érodent le désir. On n’échappe pas au “bougisme” du monde et, rester en alerte, se permettre l’immédiateté de propos, est essentiel. L’information nous submerge comme ces grandes vagues dont parle Marius von Mayenburg au début de CIBLE MOUVANTE. En très peu de temps, des évènements de la vie privée comme de la vie sociale sont effacés par d’autres évènements, sans que ces premiers aient eu droit à notre attention. Si le théâtre peut répondre à ce cauchemar précipité, reprendre prise sur le temps et redonner à l’évènement sa valeur active, dans le sens où ces événements auraient pu nous transformer, alors il sera aussi une composante forte de la vie sociale.
Mikaël Serre
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