theatre-contemporain.net artcena.fr

Bouli redéboule

+ d'infos sur le texte de Fabrice Melquiot
mise en scène Philippe Lagrue

: Présentation

Homme debout


Je n’écris pas de théâtre pour les enfants, parce que je n’écris pas de théâtre pour. Je préfère écrire du théâtre contre, puisque le théâtre a toujours à définir un nouvel ordre, et un ordre insurgé.
Mais je ne peux tout de même pas dire que j’écris du théâtre contre les enfants. Encore que.
J’ai écrit des pièces de théâtre accessibles aux enfants. Elles l’étaient parce qu’elles étaient écrites depuis l’enfance, depuis ces traces de l’enfance en moi, ce que je reconnaissais comme mon enfance à moi, et même s’il y a toujours un long chemin de la trace au récit qui cherche à la restituer, à la traduire, à la convertir.
Ce n’est pas le destinataire qui importe, puisqu’on est censé obéir à un désir intime, un partage de soi avec d’autres, une offrande de qui l’on est, à un moment précis, avec doutes et questions. C’est la source qui change, l’endroit d’où vient l’écriture, ce territoire où elle s’ancre.
Je n’écris donc pas pour les enfants, mais à partir de l’enfance, parce qu’avant tout, ce que je cherche c’est une immersion. L’Ecrire depuis. Ce qui permet d’espérer les plus grandes nuances possibles et je crois que c’est là l’un des buts premiers de l’art.
Le texte de théâtre attend quelqu’un et il attend aussi des enfants, qui ne sont pas les spectateurs de demain, mais ceux d’aujourd’hui et maintenant. Le texte de théâtre aime les enfants, parce que les enfants aiment très vite jouer avec la vie, la mémoire et l’invention. Le texte de théâtre n’aime pas les étagères, les enfants non plus ne tiennent pas en place. Le texte de théâtre a une voix propre, en dehors des phrases, au-delà de ce qui le construit ou le déconstruit ; le texte de théâtre parle depuis le vide qu’il enferme, n’éteignant jamais le vertige qu’on a devant le vide ; il attend depuis cet endroit désert en son anatomie ; le texte de théâtre appelle par-là : le no man’s land, l’invisible, l’espace blanc ; le texte de théâtre parle d’une voix blanche, qui le restera jusqu’à ce qu’une autre voix, humaine et inhumaine, vienne poser sur le blanc ses nuances ou sa couleur. Comme l’enfant mue.
Le texte de théâtre est un texte qui fait semblant de pouvoir s’en sortir seul ; il fait le fier, donne à certains os dans son corps des noms étranges et beaux : didascalies, par exemple. Le texte de théâtre orne le vide de mots peu communs. Les enfants sont ainsi ; donnant des noms à des amis qui n’existent pas ; petits auteurs de leur vie irréelle. Contre la peur. Pour commencer à faire beau, faire de l’aube. Comme ce bûcheron canadien qui à la morte saison faisait rimaille et il disait : « la poésie, c’est quand un mot en rencontre un autre pour la première fois. Donner à l’enfant, par la lecture, des premières fois. Qu’il soit le premier.
Emmener un enfant à chercher des voix par-dessus la voix blanche du vide, c’est dire à l’enfant : ne sois pas inquiet, si lisant, tu es pris de vertiges. C’est que le texte attend d’être hissé hors du livre, c’est qu’il faut faire monde debout avec des phrases couchées. Il s’agit d’être lecteur et secrètement bâtisseur de cathédrales, qui déchiffre ce monde-là de parole possible par l’édification d’autre chose. A condition de ne jamais fermer la porte des textes sur le roi-désespoir et ne pas être l’ami du néant, car c’est une insulte à l’avenir, un avenir dont nous sommes responsables, vous et moi, mais l’enfant pas encore ; il n’y est pour rien, dans ces désastres que nous ne savons pas éviter, où nous trempons par ailleurs souvent nos poèmes.
Un enfant qui lit du théâtre est un enfant qui transpire et les enfants aiment cela. Lire un texte de théâtre, c’est se reconnaître prêt à autre chose que lire, simplement lire. Lire un texte de théâtre, c’est courir, siffler, boire et manger, trembler, mettre des coups, en prendre, perdre et gagner, quitter sa maison, entrer dans d’autres par des portes dérobées, et puis, ça n’a rien à voir, c’est autre chose. Les passages secrets ne s’expliquent pas ; ils s’empruntent et ils s’oublient. C’est sans doute également autre chose qui effraie parfois, comme l’autre chose dont Guillevic disait précisément qu’elle est la poésie : la poésie, oui, c’est autre chose. Car en entrant dans le poème, on cherche toujours à faire le chemin à l’envers pour revenir au poète, à l’humeur du poète, à l’état des liquides – sang, phlegme, biles – au moment où le poète a attrapé l’éclair, au moment où le poète essaie de tenir la foudre dans sa main et de devenir la foudre, par les mots qu’il agrège. Mais, le théâtre dit autre chose. Il habille cet autre chose d’une tension vers autre chose encore et surtout quelqu’un d’autre. Pas le poème, ni l’écrivain. Mais, les ombres. Mais, l’oubli. Tout est là, dans l’oubli de soi-même et de la vie donnée, pour aller, au-delà de ce petit tas de feuilles sèches, faire pousser l’ombre et la lumière, faire parler l’ombre et la lumière ; ainsi, devenir autre. Et l’enfant aime cela, lui qui parle avec sa solitude et croit aux fantômes. Tout est là - pourrait être là - de ces définitions que nous cherchons à donner au bonheur ; tout pourrait si aisément trouver là son résumé : ne pas être celui que je suis. Devenir, par l’appréhension du texte de théâtre, les autres qui attendent là, dans les phrases. Ce devenir-souverain.


N’est-ce pas une façon de marcher vers les hommes que de marcher sur le texte, en relevant les ombres dans les phrases ? N’est-il pas grand, le plaisir de devenir monde debout et espace de jeu, seul et avec tous, contre le seul soi ? Avant l’attente d’un autre ailleurs, une magie plus grande encore : celle de la représentation du texte, au sein de l’assemblée du théâtre. Celle d’hommes, femmes et enfants, réunis, dans un silence consenti, passant ensemble à travers l’illusion, pour la quitter en retranchant cette illusion de la somme qui nous contient ou que nous gardons. Regarder la réalité en face. Jeter sur la vie une lumière. Dire je, à force de devenir d’autres, et dire je au présent car c’est toujours le temps qu’il fait au théâtre. Faire confiance à autre chose, à cet instant donné. Faire homme debout avec des phrases couchées. Faire homme debout avec cet enfant-là.


Fabrice Melquiot




« Si on considère que la pièce de théâtre est un poème destiné à être donné à voir, alors les didascalies sont un peu du poème. »
Fabrice Melquiot


Mais en route la Bananie a tout chamboulé, Sharon Stone est partie folâtrer avec le chef de gare, et les fils d’Amour à Durée Eternelle qu’on avait tendus depuis toujours avaient fini par casser.
Bouli avait porté Petula sur son dos parce qu’elle ne pouvait plus avancer.
Les fenêtres s’allument les unes après les autres.
Panique.
Effusions !
Silence.
Ils s’installent dans l’herbe, au pied de la maison.
S’endorment l’un contre l’autre.
Daddi enlève son pyjama, enfile une chemise rouge, un costume jaune et bleu ; Mama une robe vert pomme ; ça leur va bien mais bon j’aurais pas mis ça.
Soudain on frappe à la porte de la chambre.
Silence.
Daddi va ouvrir.
Apparaît Sigmund Freud.
Chant du coq.
Soleil qui pointe mais on se les gèle.
À Calais, pendant ce temps, Jean-Michel et Marie-Jeanne Clark sirotant un perroquet.
Silence.
Ils se sourient.
Plus tard.
Bouli s’est installé avec son père dans une bicoque.
Mama s’est installée avec Petula dans une autre bicoque.
On sonne à la porte de Daddi.
À Berlin, JM et MJ Clark, dans un café de Mitte, prenant une bière.
On sonne à la porte.
C’est Sigmund Freud.
Mama se maquille, à la hâte, en mangeant sa soupe.
Dans un café des Paquis. Boite de chocolats ouverte sur la table.
La petite regarde le plafond.
À Lisbonne, JM et MJ Clark dans une gargote d’Alfama.
Daddi frappe à la porte ; Mama va ouvrir.
Petula apparaît. Mais elle est déjà là.
À l’école, le lendemain, dans la cour de récré.
À Istanbul dans les coulisses d’une petite scène alternative turque.
Il sort une règle et commence à se mesurer des pieds à la tête.






« Au commencement des temps, les mots et la magie étaient une seule et même chose »(Freud), et puis en devenant adulte la magie s’est estompée et les mots ont été de plus en plus durs à entendre.


Bien évidemment Bouli et Petula s’aiment, bien évidemment Daddi et Mama s’aiment encore, bien évidemment Jean-Michel et Marie-Jeanne Clarck se disent encore qu’ils s’aiment, mais !


« Nous ne savons renoncer à rien, nous ne savons qu’échanger une chose pour une autre »(Freud)


Dans tout ce méli mélo des corps, Freud glisse lentement, sa raison implacable fait loi.


« Parfois un cigare n’est rien d’autre qu’un cigare »(Freud)


Il faudrait avoir le courage de dire aux enfants qu’un drame est un drame, que la joie fait rire et pleurer, que l’amour ne tient pas en deux personnes et que deux personnes ne tiennent pas l’amour.


Bouli et Petula sont projetés dans la réalité de la vie, ils sont spectateurs attentifs et actifs du départ de leur enfance.


« Le bonheur est un rêve d’enfant réalisé à l’âge adulte » Pétula a lu cela dans un livre de Freud, Fleud, Floyd, mais elle en est revenue de Sigmund et de ses dictons. Bouli, lui, apprend à être disponible et grandit, grandit. Les parents essaient maladroitement de sauver la face, ne rient pas de tout mais tentent de ne pleurer de rien.


Alors Sigmund, c’est quoi l’audace amoureuse ?


Philippe Lagrue

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.