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Olivier Cadiot

France – Né(e) en 1956

Entretien avec Olivier Cadiot

Propos recueillis par Antoine de Baecque et Jean-François Perrier

Que représentait le Festival pour vous, avant cette expérience d’artiste associé ?
Je suis arrivé pour la première fois au Festival l’été 89, avec Pascal Dusapin pour la création de notre opéra Roméo & Juliette. Quelle aventure ! Malgré trois années d’intense collaboration, je n’étais pas bien préparé. Je venais de publier en 1988 mon premier livre de poésie, aux éditions P.O.,L et j’étais concentré sur des questions typographiques et conceptuelles assez éloi- gnées du monde du spectacle. Avignon a été un choc. Trop de passions d’un coup. Et puis, il faisait vraiment très très chaud. J’aurais préféré être au Groenland ! J’étais loin du théâtre, préférant les lectures d’auteurs à celle des comédiens : je n’avais pas encore rencontré les bons !

La rencontre avec Ludovic Lagarde semble essentielle dans votre parcours vers le Festival.
Oui, tout d’abord parce qu’il m’a invité au théâtre. Non pas en me demandant d’écrire « pour » le théâtre, de changer de stylo, mais en reconnaissant la part « scénique » de l’écriture même. Après une courte période de réglage, où j’ai voulu d’abord « m’adapter » dans tous le sens du terme, nous avons inventé entre nous cette méthode de travail qui, en évoluant, se poursuit depuis presque vingt ans. Rien de théorique ni de compliqué, cela ressemble plus à une vie quotidienne qu’à une « méthode ». Je poursuis l’écriture de mes livres, devenus avec le temps des « romans », et Ludovic Lagarde les retourne à l’envers, ou à l’endroit, il les déplie pour les faire porter sur scène. Il fait entendre le projet d’un livre par d’autres moyens. De plus, c’est par Ludovic Lagarde que s’est construit le lien avec le Festival d’Avignon. En 2003-2004, nous avons passé plusieurs mois à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon pour préparer l'édition suivante. Passer l'hiver à Avignon nous a permis de proposer trois spectacles : la reprise du Colonel des Zouaves, la création de Fairy Queen et celle de Oui dit le très jeune homme de Gertrude Stein. Petit jardin de moine, soupe de légumes le soir, promenade dans le cloître, arrivée du printemps : c’était une meilleure manière de se préparer à la fournaise. J'ai aussi mieux compris Avignon en faisant la vedette américaine de Rodolphe Burger, dans la Cour d'honneur, lors du concert de clôture de l'édition 2004, ou plus récemment en y faisant une lecture, seul, l'hiver, lors des rencontres mensuelles qui y sont organisées. Sous la neige !

Cela aurait pu se faire avant...
On devait revenir à Avignon en 2007, pour une création, celle d'Un nid pour quoi faire. Mais je ne me sentais pas prêt. Ça allait trop vite, je n’avais pas terminé le livre et, intuitivement, je savais que si j’avais eu la sensation d’avoir une commande et une deadline scénique, j’aurais risqué de faire prendre un virage au projet. Les livres, il me semble, vont dans un sens par- ticulier, vers une autre scène, dans le noir, dans le cerveau du lecteur. Je ne voulais pas « entendre » la voix du texte trop vite. Ce qui est amusant, c’est que, libéré de cette contrainte, je me suis autorisé dans ce livre beaucoup plus de dialogues, de situations de « théâtre » au sens où on l’entend communément. Quand, plus tard, Ludovic Lagarde est revenu vers moi, nous avons décidé de le monter quand même. Mais j’ai pu le finir comme je l’avais projeté. J’étais un peu déçu d’avoir raté Avignon 2007, c'est pourquoi, quand, au printemps 2008, Hortense Archambault et Vincent Baudriller m'ont proposé d'être artiste associé en 2010, cela m'a beaucoup touché et nous sommes partis ensemble pour deux ans !

Comment est-on artiste associé du Festival d’Avignon ?
On voyage ensemble, on discute, on revoyage et on rediscute. Ce n'est pas une carte blanche, heureusement, ce n'est pas moi qui décide de programmer tel ou tel spectacle. Ils ont plongé dans mon travail et ma vie, et m’ont embarqué dans l’aven- ture du Festival, dans l’histoire du Festival ainsi que dans leur manière à la fois d’innover et de s’y raccorder. À partir de cet échange, Hortense et Vincent construisent quelque chose qui, au final, ressemble à un programme du Festival. Ils tissent patiemment des liens entre les spectacles, les histoires et les êtres.

C’est la première fois qu’un écrivain est associé au Festival.

 Oui, donc je me suis demandé ce qu’un écrivain, devait... pouvait apporter de particulier. Je ne suis pas producteur de spec- tacles, et je peux donc présenter plusieurs faces de ce travail. Et surtout le faire en même temps. Présenter les pièces d’un côté et, de l’autre, la lecture. Et puis, j’ai pensé que je pouvais faire exactement le contraire que pour mon précédent livre : infléchir le projet que je venais de commencer vers la scène et me commander un texte.

Quel type de texte avez-vous choisi d’écrire ?
Un nid pour quoi faire venait de paraître et Ludovic commençait à travailler dessus. Le Festival l'a donc repris en route. C'est un spectacle collectif, avec décorum, jeu burlesque et vidéo, une sorte de superproduction à l'échelle de la petite entreprise Cadiot-Lagarde. J’ai eu envie de revenir à l’origine de notre travail en équipe et de refaire un monologue pour Laurent Poitrenaux, dans la foulée du Colonel des Zouaves. Envie aussi de travailler en petit groupe, envie de resserrer les contraintes, envie aussi de voir ce que pouvait devenir ce personnage un peu vieilli... je ne sais plus si je parle de l’acteur, du personnage, du narrateur ou de l’auteur. La différence évidemment est que désormais, j'ai la voix, le corps, les gestes de Laurent dans la tête. Ce qui était délicat, aussi, c’est que je voulais intégrer plus directement que d’habitude des éléments autobiographiques, que j’avais aussi envie de dire deux ou trois choses sur le corps parlant de l’acteur, envie d’en finir avec ce Robinson, ce personnage qui court tout le long de mes livres. J’avais aussi envie de faire un livre sur la détente, après avoir beaucoup écrit sur l’excès, la vitesse... Comment se détendre avec autant d’envies ? Ça donne Un mage en été.

Le roman a-t-il été pour vous une manière de faire du théâtre ?
Même si mes livres sont le plus souvent écrits au présent et « dicibles » à haute voix, ils ne sont pas préparés apparemment pour le théâtre : je me sens donc libre d’écrire sans contrainte, puis Ludovic Lagarde et ses acteurs font leur chemin à leur tour. Ce qui n’était pas prévu, c’est que progressivement, j’ai changé d’avis sur la nature du théâtre. Au début, je pensais possible un théâtre « poétique », comme on dit « théâtre musical », où l’on réconcilierait les genres par la Langue, où l’on privilégierait rythme, prosodie, performance ou la soi-disant « musicalité de l’écriture ». En avançant, le théâtre m’a aidé à enlever des formes, à essayer de creuser des paroles, des voix plus précises. Au lieu d’être un porte-voix pour agrandir ou dramatiser les mots, le théâtre me donnait des outils pour enlever des effets de style, pour avoir envie d’être plus précis, peut-être plus « réaliste » ? C’est donc plutôt le théâtre qui m’aide à faire du roman. Il n’y a pas là de contradiction, mais une agitation entre ces deux activités parallèles. Les choses s’inversent, il y a beaucoup d’imprévus, des choses abstraites dans un livre qui prennent corps sur scène : une situation romanesque devient abstraite, une chose mélancolique devient drôle, et inversement. Et puis la poésie vient faire une pointe et transforme ce duo si l’on peut dire en triangle (avec la musique, ça fait un drôle de quadrilatère). La poésie revient toujours, même si je fais tout pour l’évacuer, en m’occupant du sens et pas du « style ». Dans les moments de magie que me donne le théâtre, je réalise quelquefois, quand c’est juste, quand le corps de l’acteur phrase littéralement et que ça se met miraculeusement à parler, que la poésie revient par surprise, la pro- sodie vivante.

Comment Christoph Marthaler est-il arrivé à vos côtés comme artiste associé du Festival ?
C’est mystérieux. Au cours de mes conversations avec Hortense Archambault et Vincent Baudriller, je leur ai ouvert mon petit atelier. Nous discutions beaucoup : comment ça écrit, ou pas... comment prendre des notes, quels sont les rythmes de l'écriture, ce qui me fait réagir, ce que je lis, ce qui me sert, ce qui ne me sert pas... Je ne sais pas par quel miracle ils ont éte conduits vers Christoph Marthaler, peut-être en remarquant de curieux points communs, une manière... oblique de faire du théâtre peut-être, une manière d'observer de la vie concrète, un goût pour les protocoles étranges, une attention à la musi- calité, et surtout, je crois, un goût du comique.

Comment s’est passée votre première rencontre ?
Nous sommes partis à trois le rejoindre à Sils-Maria, en Suisse, en octobre 2008, où il avait complètement "installé" le Waldhaus, le grand hôtel qui fêtait ses cent ans. Quel souvenir ! Je me déplaçais en 3D dans une pièce de Marthaler. Et pour- tant, il y avait là tout ce que je n'aime pas dans le théâtre : le cabaret, le numéro, la caricature... mais revisité. De la comédie de bar au grand dîner emperlousé, du récital de chant français à Wagner sur le court de tennis, de l'intérieur de l'hôtel entiè- rement emballé aux bureaux du sous-sol en mode RDA, jusqu'aux chanteurs enfermés dans un combi Volkswagen, chantant du Strauss à la bougie au fin fond d’un parking. On a été tout de suite très bien ensemble. J’ai la chance de parler couram- ment mal allemand. Lui dit ne pas lire beaucoup le français. Ça nous oblige à développer des antennes supplémentaires.

Dès lors, Avignon prend pour vous deux une tournure différente ?
Ce qui est amusant, c’est que les directeurs du Festival ne nous ont pas du tout engagés à travailler ensemble. Mais, très vite, on a imaginé un Festival parallèle, où l’on échafaudait toutes nos petites idées. On s’est promené dans Avignon l’hiver pour choisir des lieux en plus, au détour d’une ruelle, un Schubert pour une fenêtre... des fouilles archéologiques imaginaires, des confessionnaux pour les spectateurs. C’était une manière d’imaginer des choses ensemble, de se connaître concrètement, de mélanger nos idées et nos souvenirs. Il en restera sûrement quelque chose dans les spectacles de Christoph et dans sa manière de s’installer brièvement dans le Palais des papes.


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