theatre-contemporain.net artcena.fr

Couverture de La Terre entre les mondes

La Terre entre les mondes

de Métie Navajo


La Terre entre les mondes : Extrait 1 [pp.14-15]

Avec l'aimable autorisation des Éditions Espace 34 dans le cadre du Prix Sony Labou Tansi

LE PÈRE. – Les hommes qui sont arrivés l’autre jour en disant que notre parcelle était à eux, ils vont faire la même chose. Je l’avais laissée au repos cette parcelle, avec seulement de vieux arbres dessus, des arbres qui rendent la terre forte, un jour ils arrivent, ils disent que cette terre est à eux et la première chose qu’ils font c’est l’encercler de barbelés. Mais cette parcelle a toujours été celle du village ; com-ment elle pourrait être à eux ? Ils disent : vous avez des documents ? Je dis non, nous n’avons pas de documents, ici c’est comme ça, tout le monde sait, on sait aussi lire et écrire, mais on ne fait pas de documents. Ils disent : eh bien nous avons des documents officiels, des titres, des permis avec le tampon des autorités, nous avons acheté cette terre, voici les documents, et si ça ne te suffit pas, vieillard, nous avons aussi des armes. (Il siffle.) Notre région est tranquille, on dit que c’est la plus tranquille du pays, même les gens de la ville sont calmes comme l’eau de la mer, et la mer est un lac. J’ai dit : de toute façon je suis né pour mourir. Pourquoi crois-tu que je t’ai envoyée à l’école plus longtemps que tes frères ? Tu travailleras le temps qu’il faudra, puis tu partiras.


CECILIA. – Je n’aime pas travailler chez des étrangers.


LE PÈRE. – Ils vivaient ici bien avant ta naissance.


CECILIA. – Ils vivent comme des étrangers.


LE PÈRE. – Et nous ? Nous ne vivons pas ici comme des étrangers peut-être ? (Il siffle.) L’air est trop chaud. Le vent refuse de se lever ce soir. Je n’ai aucun argent pour toi, retournes-y, traverse la forêt, parcours leurs plantations, frappe à toutes les portes, il y a toujours une maison où les bras manquent. L’épandage, la récolte : ils ont des beaux tracteurs mais ils ont besoin de bras pour tout ce soja. Plus tard tu mourras d’un cancer comme tout le monde, et alors ? Avant on plantait en-semble le maïs, le haricot et la courge. Elles poussent bien ensemble, leurs tiges s’enlacent. On dit que bientôt un train passera à travers la forêt pour transporter le bois, les touristes, le soja. À quoi sert le soja ? À nourrir les bêtes, ou les enfants chinois. Tu es la dernière, celle qui doit rester auprès de ses parents pour les accompagner jusqu’à la mort, et pourtant tu partiras, je le sais.


imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.