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Couverture de L'Architecte

L'Architecte

de David Greig

Texte original : The Architect traduit par Jocelyn Matthew


L'Architecte : Extraits

ACTE I – scène 11


Léo mange. Paulina observe. Silence.


Léo : C’est bon, ça.


Paulina : Tu trouves ?


Léo : Vraiment.


Bon... Fait maison.


Paulina : Je l’ai acheté.


Léo : Dommage que les gosses. . . C’est un peu bête de les appeler les gosses. . . Ce n’est pas le mot qui convient, tu n’es pas d’accord ? Dommage qu’ils ne pouvaient pas manger avec nous. On devrait manger ensemble plus souvent. En famille. Si j’avais su que nous . . . j’aurais demandé . . .


Paulina : Ils sont sortis. Ils n’ont pas dit où.


Léo : Un dîner en famille. Maintenant que Martin est revenu. Tout le monde autour de la table. Faire la vaisselle ensemble . . . comme avant.


Paulina : Ferme ta bouche, Léo.


Léo : Quoi ?


Paulina : Quand tu manges. Ferme ta bouche.


Léo : Pardon.


Paulina : Tu fais toujours ça. Tu ne t’en rends pas compte ? Tu penses que j’ai besoin de voir ce qu’il y a dans ta bouche ? C’est moi qui l’ai préparé. Je n’ai pas besoin d’une démonstration.


Léo : C’est délicieux. Bien préparé. Ça mérite une démonstration. Pourquoi tu ne prends pas un peu de vin ?


Paulina : Non.


Leo se sert un verre de vin.


Tu te souviens de Eden Court ? Paulina ? La cité que j’ai construite . . . pour la municipalité. En ’71 je pense, j’ai l’impression que c’était hier, bien sûr, Martin venait de naître. Une femme est venue me voir aujourd’hui. Elle veut la faire sauter.


Paulina :Est-ce que tu me trompes?


Léo : . . . Pardon ?


Paulina : Est-ce que tu m’as trompé? Récemment ?


Léo : Qu’est ce qui te fait penser que . . .


Paulina : Je demande.


Léo : Non. Non. Je ne te trompe pas, Paulina. Non. . . . Je ne te trompe pas.


Paulina : Tu ne me dirais pas même si c’était vrai.


Léo : Est-ce qu’il y a un problème ici, tu ne me crois pas ?


Paulina : Tu bavardais. En général tu bavardes avec moi quand tu te sens coupable.


Léo : Pour l’amour de Dieu. Je parlais boulot.


Paulina : Je ne sais pas comment tu peux boire ça.


Léo : J’ai dit qu’ils veulent démolir Eden Court.


Paulina : Ils les piétinent. Les raisins.


Léo : Quelque chose que j’ai construit. Ils veulent le démolir.


Paulina : Il y a probablement de la sueur dedans.


Léo : Je pensais que tu voudrais savoir. C’est tout.


Paulina : Des maladies de pied et Dieu sait quoi encore.


Léo : C’est la tradition. Traditionnellement c’est ainsi qu’on fait le vin.


Paulina : Ça me dégoutte.


Léo : C’est une attitude typique, bien sûr. C’est la faute de l’architecte. Les gens sont pauvres. C’est la faute de l’architecte. L’endroit est un taudis, c’est la faute de l’architecte. Ils y fourrent plein de porcs puis se plaignent que c’est devenu une porcherie.


Paulina : Probablement qu’ils urinent dedans, ceux qui piétinent, pour se venger.


Léo : Quoi ?


Paulina : Pour se venger. Probablement qu’ils rient quand ça leur coule le long des jambes.


Léo : Je ne crois pas.


Paulina : Tu ne sais pas ce qui se passe dans la tête des gens.


Léo : C’est un bon vin.


Paulina : Toutes sortes de pensées.


Léo : Je croyais que tu aimais le bordeaux.


Paulina : Ferme ta bouche, Léo, tu recommences.


Léo : Je n’ai jamais compris l’utilité des bonnes manières, tu sais. La fourchette de ce côté-ci, la fourchette de ce côté-là. Ce n’est qu’une histoire de classe. Il n’y a aucune beauté dans tout ça. Aucune vérité. Dans certains pays, tu sais, si tu apprécies le repas, il est considéré comme poli de roter. Quand j’étais en Arabie . . .


Paulina : Si tu veux roter, va dans le jardin.


Léo : Je ne veux pas roter. Je dis seulement que . . .


Paulina : Va faire tes bruits là-bas.


Léo : Je discute. Les bonnes manières ne sont pas . . .


Paulina : Excuse-moi.


Paulina se lève et s’en va.


Léo : Paulina ! Paulina.


. . . Il se sert un autre verre de vin. Allume une cigarette.




ACTE I – scène 14


Joe : Je suis camionneur. J’ai l’habitude de me tenir compagnie.
Je ne dirais pas que j’aime ça, mais je le tolère.
Je suis comme un vieux couple marié. Je me tolère.


Dorothy : Il faisait chaud. Tu avais mis le chauffage. Je n’arrivais pas à garder les yeux ouverts. C’est toujours dans les camions que je dors le mieux.


Joe : Tu as rêvé ?


Dorothy : Pas de rêves.


Joe : Tu avais l’air paisible. Sympa.


Dorothy : Je suis désolée d’avoir dormi. Ce n’était pas ce que tu voulais.


Joe : J’ai apprécié ta présence. Ça suffisait comme compagnie. En fait, c’est sympa d’avoir une fille à côté de toi quand tu conduis. Est-ce que tes parents savent où tu vas ? Quand tu fais ces excursions ?


Dorothy : Ils ne me le demandent jamais.


Joe : Avec un petit copain.


Dorothy : Probablement.


Joe : Ils ne veulent pas le rencontrer ? Discuter avec lui ?


Dorothy : On ne fait pas ça dans notre famille.


Joe : Quoi ?


Dorothy : Poser des questions. Dire des choses.


Joe : Quand même.


Dorothy : Tu veux dire quoi par sympa.


Joe : …


Dorothy : C’est sympa d’avoir une fille.


Joe : Je ne voulais pas t’offenser. N’importe quel homme… ressentirait…


Dorothy : Quoi ?


Joe : Ça n’a pas d’importance. Je n’aurais pas dû le dire.


Dorothy : Continue.


Joe : Juste avoir une fille près de toi. Ta peau sur le siège. Ta respiration. C’est tout.


Dorothy : Raconte-moi.


Joe : Tu sais.


Dorothy : Dis.


Joe : N’importe quel homme. Une fille.


Dorothy : Je t’ai excité ?


Joe : Non.
Oui.
Non. Pas « excité ». Ce n’est pas le bon terme.


Dorothy : Alors quoi ?


Joe : Emu. J’étais ému.


Dorothy : Comment ça ?


Joe : Profondément.


Dorothy : Comment ça profondément ?


Joe : C’est bête tout ça. Oublie ce que j’ai dit.


Dorothy : Je veux savoir.


Joe : C’est un mélange de choses… les sentiments d’un homme... ils… tu te mets comme… dans un état de… de manque.


Dorothy : Un état de manque.


Joe : Ne t’offense pas, s’il te plaît.


Dorothy : Non, non.


Joe : Tu veux… tu sais... la toucher. Tenir ses seins dans tes… la voir… tu sais.


Dorothy : Oh.


Joe : Mais après j’ai ressenti autre chose.


Dorothy : Quoi ?


Joe : De la tristesse. Je me sentais triste pour toi.


Dorothy : Et…


Joe : Puis je me sentais triste pour moi.


Dorothy : Et.


Joe : Puis je me sentais triste pour nous. Pour tout le monde.
C’est drôle, non ?

Je voulais te tenir.


Dorothy : Pourquoi ?


Joe : Je voulais te protéger. Des hommes comme moi.


Dorothy : C’est tout ?


Joe : Tu n’es pas dégoûtée?


Dorothy : Non.


Joe : Ça ne te gêne pas que je dise des choses comme ça ?


Dorothy : C’est ce que je veux.


Joe : Ma femme ne me laisserait jamais dire des choses comme ça.


Dorothy : Tu pourrais lui dire.


Joe : Tu ne veux pas que ta femme sache que tu as ce genre de pensées. Ça. Moi. Ici. Toi. Mon coeur qui cogne comme ça. Une jeune femme. Je ne supporterais pas qu’elle sache ça de moi. Que je regarde des filles. Que je te regarde. Je veux dire. J’aime ma femme.


Dorothy : Vraiment ?


Joe : Pas vraiment de l’amour. De l’affection. Non. C’est difficile de savoir le mot. Il y a un lien entre un homme et sa femme. Tu ne peux pas le briser. Parfois j’ai l’impression qu’elle sait ce qui est dégoûtant en moi. Tu crois qu’elle peut lire dans tes pensées. C’est horrible. Mais tu ne dis jamais rien. Tu ne peux tout simplement pas.

On devrait arrêter. De parler de ces trucs-là.


Dorothy : On peut arrêter si tu veux. Tu veux ?


Joe : Non. Ça va.

Demande-moi autre chose.


Dorothy : Est-ce que tu regardes ta femme ? Quand elle dort ?


Joe : Avant oui mais… ta femme… ce serait comme regarder ta mère.


Dorothy : Est-ce que tu as fait autre chose ? A part me regarder.


Joe : Non.
Pas vraiment.


Dorothy : Dis.


Joe : Je n’ai rien fait.


Dorothy : Tu as dit . . .


Joe : J’ai essayé de te toucher. J’ai avancé la main pour…
Soulever ta…
Mais je ne l’ai pas fait. Je sentais ta respiration sur le bout de mes doigts.
J’ai arrêté par politesse. Ou peur. Le fameux cheveu. Je voulais. J’ai failli m’évanouir.
Pourquoi tu veux savoir tout ça ?


Dorothy : Pourquoi tu veux me le raconter ?


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