MERCREDI 20 JUILLET 1988 Edgar-Quinet. 13 h 05.
Bel été.

Ai dix ou douze francs et s’il ne se passe rien aujourd’hui – ou à la rigueur demain – je vais être obligé de faire un régime amaigrissant.

Très ennuyeux ce problème d’argent.

(...)

Travail sérieux sur Les Héritiers. Difficile. Comment tenir les fils‚ tous les fils dans la main.
Mais excitant (un peu trop technique). Cela a tout pour plaire. Je n’ai pas dit : « Être monté. » Mais plaire.

(...)

Lecture : ai terminé le premier tome de Génération. Cela m’a beaucoup‚ beaucoup plu.

Lecture encore : Les Mutilés de Hermann Ungar. C’est magnifique‚ aussi magnifique que Enfants et Meurtriers. Ça fait un peu peur également.

(...)

Retour de Léopold. Il m’appelle plusieurs fois. Laisse des messages. « Me voir avant qu’il ne reparte. »
Samedi soir – j’avais envie d’être seul – je décline. Mais je sens que ce n’est pas très gentil et j’en éprouve des remords.
Dimanche matin‚ il me téléphone et demande qu’on se voie le soir‚ à peine‚ avant qu’il ne prenne le train.

On se voit. Il est joli comme tout.
Et doucement‚ à peine‚ il s’abandonne un peu. À pleurer sur la mort de sa mère et sur les inquiétudes qu’il éprouve pour son père‚ maintenant.
Et puis apaisé un peu de s’être laissé aller – « je m’étais promis de ne pleurer devant personne » – je l’accompagne à la gare.
Il me fait des petits signes alors que je suis assez loin maintenant‚ comme un gosse qui part en colonie de vacances.

(...)

Lettre de Renaud Camus. Il parle de Derniers remords avant l’oubli.
Belle et douce lettre‚ et pourtant empreinte d’une mélancolie sourde‚ qui me laissa un peu désemparé.

Lui répondre ? (L’envahir ?)

SAMEDI 23 JUILLET 1988
Paris. 23 h 35.

La nouvelle du jour‚ de la semaine‚ du mois‚ de l’année‚ etc.‚ comme il était « à craindre et à prévoir » (à craindre‚ vraiment ?).

Je suis séropositif

mais il est probable que vous le savez déjà.

Regarde (depuis ce matin) les choses autrement. Probable‚ je ne sais pas.

Être plus solitaire encore‚ si cela est envisageable.

Ne croire à rien‚ non plus‚ ne croire à rien.

Vivre comme j’imagine que vivent les loups et toutes ces sortes d’histoires.

Ou bien plutôt tricher‚ continuer de plus belle‚ à tricher.

Sourire‚ faire le bel esprit. Et taire la menace de la mort – parce que tout de même... – comme le dernier sujet d’un dandysme désinvolte.