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Couverture de Journal (1977-1990)

Journal (1977-1990)

de Jean-Luc Lagarce


Journal (1977-1990) : Un dimanche à Valentigney

pages 143-144

LUNDI 1ER JUILLET 1985
Besançon. Midi dix environ.
L’été se décide. Terrasse des cafés.


Dimanche-bonne-œuvre à Valentigney. Je suis vache. J’avais envie de les voir. Le grand jeu : épaule de mouton‚ flageolets‚ bouchées-à-la- reine-comme-je-les-aime. Visite à la grand-mère (super forme)‚ cueillette de rares cerises (vertes)‚ rosé et tarte-à-la-rhubarbe-comme-je- l’aime dans le jardin‚ fraises-ne-pas-les-cueillir-en-plein-soleil‚ ça les fait sécher‚ retour en voiture‚ petit casse-croûte‚ promesses de revenir quand mon frère et ma sœur seront là (réunion de famille).


J’avais donné une interview à Godard dans Le Monde. J’y parlais de mes parents‚ en disant qu’ils avaient « la pêche » alors que je suis peu dynamique. Ça a fait le tour du Pays de Montbéliard (d’abord Le Monde‚ puis la grosseur de l’article‚ puis le fait qu’il y ait une photo...). La copine de mon frère leur avait envoyé.
Ils ont aimé ça‚ plus que tout. Ils l’ont dit. J’aurais volontiers préféré être dans un trou de souris.
Un peu obscène.
Ils étaient très contents : je ne leur dis jamais rien et ils lisent l’affection dans le journal (« Si c’est écrit‚ c’est que c’est vrai... »).


J’ai pensé – je n’ai pu m’empêcher de penser – qu’il aurait pu y avoir le contraire écrit. J’ironise un peu sur tout‚ Godard aurait pu (ou voulu) comprendre le contraire. Et ils auraient souffert : « ... Si c’est écrit dans le journal... »


Encore :
Sur le mur de la salle à manger‚ un portrait de ma soeur‚ un portrait de mon frère et sa copine (bien‚ cette photo)‚ quelques photos de petitsneveux‚ cousins‚ dont j’ignore tout‚ jusqu’à la naissance (ces grosses têtes d’enfants-poissons‚ gros yeux et sans cheveux).
Pas de photo de moi (ce n’est pas faute de m’en avoir réclamé une).


Encore‚ le long de la route :
On roule en voiture. Un type torse nu en short court sur le bas-côté. Cuisses magnifiques et surtout un vrai dos d’athlète.
Je m’exclame (je me crois où‚ à la Gay Pride ?) : « Il est drôlement bien roulé. »
Léger temps. Ma mère dit : « Oui‚ il n’est pas mal. »
Mon père regarde la route. Un temps. On croise un gros plouc sur un vélo.
Il dit : « Oui. Il est mieux que celui-là ! »
C’est tout. Ça pèse des tonnes.
On y viendra. (Cette petite conversation‚ inévitable.) On y viendra. Chaque chose en son temps.


Compléments.
Lecture : Le Livre des snobs de Thackeray. Drôle. Et puis‚ j’aime bien ce genre de « livre de morale ».
Lecture‚ encore (c’est l’été‚ vous dit-on) : Willard et ses trophées de bowling de Richard Brautigan. C’est drôle et ça ne mange pas de pain. (Un peu poussif parfois.) J’avais bien aimé Un privé à Babylone (on me l’a volé).


Et maintenant‚ trêve de plaisanterie. Au travail.


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