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Couverture de Finir en beauté

Finir en beauté

de Mohamed El Khatib


Finir en beauté : Extrait (thème croisé)

Extrait sélectionné dans la cadre du Prix Sony Labou Tansi 2016

Le texte se situe au début de la pièce, il s'agit du Prologue.
L'auteur place le cadre de sa pièce ainsi que le ton doux amer qu'il emploiera tout au long de l'oeuvre. On y voit déjà clairement apparaître le thème de la filiation, de l'amour de fils pour la mère. Filiation ici comme « restituée » puisque c'est l'enfant qui lit des histoires à sa mère. Cette même question de la filiation réciproque est posée par l'auteur dans les notes en fin d'ouvrage :


« Si c'était à refaire, j'agirais sans doute différemment. J'aurais été un fils irréprochable. Les parents se demandent toujours s'ils ont été de bons parents. Mais nous, est-ce qu'on a été de bons enfants ? On a été des enfants au niveau, nous ? On a été des enfants olympiques, nous ? »

Prologue. Mai 2010. (page 11-12)


Ma mère a 78 ans, elle vient de dépasser l'âge qui lui permettait d'accéder à tous les jeux de société destinés aux joueurs de 7 à 77 ans. Elle a les traits tirés, le visage marqué par les années de souffrance et de bonheur, le corps usé par tant d'hospitalité, de devoir d'hospitalité. Accueillir l'autre, quand on vient des montagnes du Rif, ça a du sens.
Depuis l'hiver dernier, je suis à son chevet. Alors je lui raconte des histoires. Elle n'a jamais su lire, elle récitait simplement ça et là quelques versets du Coran appris par coeur lors de brefs passages à l'école coranique de Zaouia. Elle n'a donc qu'un seul livre, le Livre, son Livre. Je commence à rattraper le temps perdu, son temps littéraire et notre temps mère-fils. Je lui fais la lecture en français, certains passages en arabe, et les silences, en silence, jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Parfois, même endormie, je poursuis la lecture à cette mère somnolente qui ne comprend ni les passages de Proust, ni les aventures du sultan Mourad de La Légende des siècles. L'intensité est ailleurs, plus que les textes, c'est notre relation qui est en tension. Chaque livre lu est du temps de vie sur le temps de mort, chaque parole, chaque reprise de souffle est un instant de paix.
Le printemps vient s'immiscer dans la chambre de ma mère, écouter les histoires de ma mère et m'accompagner dans la lecture du Livre de ma mère d'Albert Cohen. Je crois que ce fut sa lecture préférée. J'avais décidé de lire toute la nuit. Elle n'a jamais autant souri, me regardant fixement dans les yeux, sa main dans la mienne.


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