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Vous reprendrez bien un peu de liberté… Ou comment ne pas pleurer ?

mise en scène Jean-Louis Hourdin

: Présentation

Naomi Klein versus Marivaux : Une stratégie du choc ?

De Jean-Louis Hourdin, on connaît le travail sur les classiques modernes (Büchner, Lorca, Karl Valentin, Horvàth, Brecht) et les modernes déjà classiques (Fassbinder, Franca Rame, Dario Fo, Albert Cohen). On sait son amour pour les projets qui convoquent les auteurs contemporains (Deutsch, Durif, Benaïssa, Picq) et ceux qui s'inventent avec des paroles d'acteur au fil des répétitions (des "écritures de plateau" comme on dirait aujourd'hui). Des modes de créer qui parfois se croisent et s'entremêlent sur les chemins d'un théâtre populaire d'intervention, que Hourdin envisage comme une expérience à partager avec le plus grand nombre.
Quant aux « vrais » classiques, ils sont plutôt rares dans la trajectoire de Jean-Louis Hourdin. Il s’agit de Shakespeare et de Marlowe. Et quand il s'intéresse à Molière, c'est par le biais de ses farces, non de ses comédies. Farces dont il recherche par ailleurs les antécédents moyenâgeux pour les réunir, par exemple, dans un seul et même spectacle présenté dans les villages de Bourgogne et à Paris, par les acteurs de la Comédie-Française.


Pour le dire vite et sans ambages, depuis plus d'une vingtaine d'années, Hourdin a pris une sérieuse distance avec le répertoire, attiré par des auteurs et des textes qui tiennent le théâtre à bonne distance, pour mieux l’infiltrer, sous la forme d'une contrebande poétique autant que politique.
En imaginant, avec son nouveau projet, d’associer dans un seul et même spectacle Naomi Klein et Marivaux, Jean-Louis Hourdin rejette la schizophrénie policée du bon professionnel (l'alternance d’un contemporain et d’un classique et ainsi de suite) et lui préfère la dialectique du saltimbanque, imprévisible et musclée. La stratégie du choc, (Naomi Klein) lui permet de parler des nouvelles formes de l’oppression de l'homme par l'homme tandis que L’île des esclaves (Marivaux), sous le mode des contes et paraboles du XVIIIe siècle, traite des rapports de classes via une Antiquité mythique.


Ce faisant, Hourdin prend au pied de la lettre le titre du livre de Naomi Klein. En projetant son spectacle sous les auspices du choc, entremetteur intuitif, il prépare une redoutable alchimie.
D'un côté la radiographie jusqu'au vertige du « capitalisme du désastre » qui barre l'horizon jusqu'à la nausée, de l'autre le récit d'un improbable naufrage sur une île d'utopie sociale. Si chez Klein, les maîtres restent maîtres de bout en bout, chez Marivaux, après une brève et vertigineuse inversion des rôles entre maîtres et serviteurs, chacun retrouve sa place.
Dans les deux cas, il est question de richesse et de pauvreté, d'ordre et de désordre, d'oppression et de liberté, de fatalité et de révolte, d'humiliation et d'espérance.
C'est à une partie contradictoire et turbulente que Jean-Louis Hourdin convie le spectateur.
D'un côté une somme de faits, d'évènements et de dates, rassemblés et articulés avec une intelligence rare : 50 ans de l'histoire contemporaine de l'humanité. De l'autre, une fiction où les renversements sont possibles, un précipité virtuose, un dialogue fulgurant où le temps est suspendu et l'Histoire prend des allures de fable initiatique.
Ce que dit Naomi Klein (journaliste et essayiste dont le travail est mondialement salué), elle seule peut le raconter. Jean-Louis Hourdin n'essaye pas de nous faire croire que L'île des esclaves parlerait du monde aujourd'hui ; mais en l'associant à La stratégie du choc, il enrichit notre point de vue sur l'oppression, en la mettant en perspective historique. En retour, il est possible que la fréquentation de Klein donne à l'interprétation de la pièce de Marivaux, une brutalité et une amplitude trop souvent occultées par un raffinement trompeur.


Ces deux textes, écrits à presque trois siècles distance joués par les mêmes comédiens, dans leur irréductible différence (littéraire, dramaturgique, sociale et politique), sont en mesure de (dé)montrer si besoin était que la "fin de l'Histoire" n'est pas pour demain, que les combats d'aujourd'hui ne sont malheureusement pas dépassés et que la nécessité de la révolte est toujours d'actualité.
A la fin, Naomi Klein et Marivaux, chacun à sa façon, nous renvoient à notre propre responsabilité. Car, comme on le sait, c’est seulement dans la vie que se trouvent, parfois, les solutions aux problèmes posés par le théâtre.

Philippe Macasdar - Directeur de Saint-Gervais Genève Le Théâtre

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