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Venavi ou pourquoi ma soeur ne va pas bien

+ d'infos sur le texte de Rodrigue Norman
mise en scène Olivier Letellier

: A propos du texte

COMMENT C'EST VENU…


Je me souviens : Un jour, étant enfant, j’avais eu un problème de cou. C’était peut-être le torticolis, je ne sais pas.Mais j’avais eu si mal pendant des jours, et peut-être même, pendant des semaines, que j’avais cru que j’allais mourir. Je ne pouvais plus remuer la tête. On ne m’amena pas au dispensaire de la ville, non, on me soigna à la maison. Les adultes avaient dit que mon mal de cou était dû à ma méchanceté de la veille envers une de mes cousines, qui était une soeur cadette de jumeaux. Il paraît que lors de nos jeux, j’aurais gratifié la demoiselle d’une gifle magistrale. Ce qui fait que pendant la nuit, au cours de mon sommeil, les jumeaux seraient venus venger leur soeur en me tordant le cou et en le mettant en stand-by. Bien sûr, tout cela se serait passé dans un monde métaphysique. Autrement, je leur aurais peut-être cassé la gueule, à eux aussi, ces frères à l’esprit vengeur, ou on s’en serait tirés kif-kif... sûrement. Pour guérir, je devais aller présenter des excuses à ma cousine qui allait intercéder en ma faveur auprès de ses frères, afin que ces derniers remettent mon cou en marche. Ses excuses devaient être accompagnées de présents : haricots, huile rouge, sucre et francs symboliques. Dès que ma mère eut réuni ces éléments, je ne me fis pas prier avant de m’exécuter. On prépara du haricot avec cette huile rouge et on fit bombance. Les jours qui suivirent, mon état de santé s’améliora nettement jusqu’à ce que le mal disparût. Inutile de préciser que depuis cette aventure, je diminuai de méchanceté envers mes compagnons de jeux, en particulier, quiconque fut jumeau, frère ou soeur de jumeau.


Cette histoire est l’un des rares souvenirs que je tire de mon enfance passée à Atakpamé, ville où je suis né, et qu’on appelle par ailleurs, « ville aux sept collines » en comparaison sans doute à Rome. Je n'ai jamais pu compter ses collines pour savoir s'il y en avait réellement sept. Néanmoins, j’ai appris par la suite qu’il existait de par le monde, plusieurs autres villes qui revendiquaient ce surnom, un petit nombre d'entre elles le revendiquait à juste titre et beaucoup d'autres, par pur fantasme : Yaoundé, Kampala, Lisbonne, Edimbourg, Jérusalem, Nîmes, etc. En tout cas, il faut dire qu’à côté des quelques collines qu’hébergeait la ville d’Atakpamé, se nichaient des histoires fantastiques, vecteurs des rites et traditions du peuple Ifè dont je suis issu. Il fut un temps où je raffolais de ces histoires, ou plutôt, ces mythes. Au-delà de mon rapport empirique avec cette communauté des jumeaux (comme l’atteste cette histoire de « cou mis en stand-by »), parmi ces mythes, celui des jumeaux me semble celui qui prolonge le mieux, la vie du peuple Ifè vers l’universalité. Le mythe des jumeaux ne crée-t-il pas des résonances dans toutes les cultures ? Que ce soit dans une perspective à la fois irrationnelle que cartésienne, ne nous renvoie-t-il pas à l’idée même du « double », et du coup, nous tombe sous les sens… ? Les sens ou l’imaginaire ?
Souvent, lorsque l’on me demandait : « Quelle histoire raconteras-tu à tes enfants ? » moi qui n’écrivais que pour les adultes et parfois pour les grands adolescents, je pensais à l'histoire des jumeaux, pas celle que j’ai racontée plus haut, mais une que j’inventerais à partir de ce qui m’était arrivé. Alors, quand le Théâtre de Sartrouville m'a demandé d’écrire une pièce pour les six-dix ans, j'ai repensé à la réponse que je me faisais (en la faisant aux autres).
Et puis, pour de vrai, ma fille, Mélissa, aura six ans dans deux ans. Deux ans, ce n’est pas si loin. Autant me préparer à la requête fatidique : « Papa, raconte-moi une histoire, pas une qui se trouve dans les livres ou qu’on nous a déjà racontée à l’école ! ». Exercice que j'imagine déjà périlleux si on n'y est pas préparé.


UNE HISTOIRE A INVENTER AU FIL DES MOTS...


L’histoire plonge ses racines dans un des aspects pas trop gais de la vie des jumeaux : quand l'un des jumeaux vient à décéder... En effet, une telle éventualité qui fait partie aussi de la vie, donne lieu à des interprétations et des attitudes sociologiques les unes aussi diverses que les autres, selon la société ou l'époque. Chez les Mina comme chez les Ifè, deux ethnies du Sud-Togo, à part quelques nuances, les perceptions ne diffèrent guère : l’on ne dit pas que le jumeau est décédé mais qu’il est allé dans la forêt chercher du bois pour se chauffer. Par souci de cohérence, je choisis d'inscrire l'histoire dans les cultures Mina et Ifè, la frontière me semblant très ténue entre elles, du moins au regard de la perception gémellaire.


En même temps qu'elle s'inscrit dans ces cultures, l'histoire se veut une sorte d’allégorie de cette perception sans la condamner. Autrement dit, il n'est pas question de mettre en doute devant les jeunes spectateurs, la conception que ces peuples ont de la gémellité. Mais de mettre en exergue et prolonger ce phénomène qui existe à l'intérieur des sociétés, et qui force ces mêmes sociétés à admettre parfois que la cause du phénomène pourrait venir de cette conception qu’elles ont. En effet, il n’est pas rare de trouver dans lesdites sociétés, des gens se plaindre qu’un jumeau a mal tourné ou qu’il lui est impossible de quitter un monde imaginaire dans lequel il a longtemps vécu pour être en phase avec la réalité. L’inquiétude est d’autant plus grande chez les parents lorsque que le jumeau obnubilé par son monde, devient adulte.


Mais, de là, à soutenir qu'il faut modifier la conception, c'est une autre affaire qui d’ailleurs ne relève pas non plus de mes champs de compétences. Quoique, le sous-titre Pourquoi ma soeur ne va pas bien signale un mal-être chez le personnage de la soeur, que le frère jumeau tente d'expliquer et pour lequel il imagine une sorte de thérapie, thérapie un peu violente peut-être pour un récit destiné aux enfants. Mais je me dis (et j’espère ne pas me tromper), que les enfants ne sont pas aussi fragiles que nous le pensons. Quelques fois, les adultes que nous sommes, le sont encore plus qu'eux ! Dans cette histoire où il sera question de jumeaux, d'anormalités, de mort et de revenant sans tomber dans la morbidité, il y aura surtout de la place à l'humour, à la tendresse, au voyage, et à la vie !

Rodrigue Norman

mars 2010

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