Gianina Carbunariu a 33 ans. Elle est née en Roumanie sous l'ère Ceausescu mais n'avait que 12 ans lors de l’exécution du dictateur. La jeune auteur dramatique n'a pas connu les obstacles à l'expression libre, ni les tourments de la Securitate qui auraient pu la conduire à l'exil. Elle est de cette génération qui, comme le souligne Mirella Patureau^[1] : « n'a pas eu besoin de masques, de sous textes compliqués et de messages insidieusement parsemés. Elle peut dire tout, haut et clairement. » Et Gianina Cabunariu ne s'en prive pas. Elle qui, avec d'autres jeunes metteurs en scène et auteurs roumains, est à l'initiative du mouvement DramAcum créé en 2002, un nom qui signifie : Le drame aujourd'hui et comment ?
C'est ainsi que sous sa plume naît le trio improbable de Stop the tempo ! : Paula, Maria et Rolando, trois « héros » dans la Roumanie d'aujourd'hui.
Mais que s’est-il donc passé dans ce pays depuis 1989 et l'éviction de son dictateur, alors que la mise en place d'un régime démocratique dès 1990 avait suscité tant d'espoirs et tant d'attentes chez les Roumains ? « La situation de la Roumanie montre que la démocratie n'est pas infaillible et que la transition entre deux régimes peut être longue et ardue », souligne Louis Pigeon-Caron de l'Université de Sherbrooke^[2], précisant que nous pouvons nous interroger sur les bienfaits de l'économie de marché, compte tenu des turbulences que continue de subir le peuple roumain...

Des statistiques effarantes
L'historien Traian Sandu rappelle la situation désastreuse des conditions de vie roumaine à la fin du régime communiste : « Une société dans son ensemble à la dérive que la moindre crise menaçait de déséquilibrer... ». Près de la moitié des ménages vivaient déjà en dessous du seuil de pauvreté tandis que la Roumanie affichait le taux de mortalité infantile le plus élevé d'Europe et une fertilité féminine en baisse : deux indicateurs qui ont conduit la Roumanie à perdre plus de deux millions d'habitants depuis quinze ans… Une situation démographique tout à fait problématique puisque, selon le sociologue Mircea Kivu, en 2050, la moitié de la population roumaine sera formée de retraités. A cette décroissance démographique s'ajoute un exode des cerveaux : on estime à 1,5 million le nombre de Roumains vivant en dehors du pays et n'ayant aucune intention de revenir au pays.
Cette crise démographique roumaine est, entre autre, liée à la pauvreté extrême du pays comparativement au reste de l'Europe : 1 euro = 37000 leïs ! Le salaire moyen d’un ouvrier roumain est de 70 €, celui d’un professeur d’environ 100 €. La privatisation du commerce et de l'industrie, qui étaient jusqu'alors nationalisés ainsi que le passage au libéralisme économique n'ont fait que basculer un peu plus le peuple roumain dans la pauvreté, dans les villes comme dans les campagnes. Au début de la période de transition politique, le chômage était considéré comme un phénomène secondaire dans la mesure où il pouvait être contrôlé par l’action du marché. Mais la réalité a été bien différente…
Dans les années 2000, de multiples grèves touchant des secteurs très différents de l’économie, ont fait entendre des slogans comme : « A quoi ça sert d'être libre si on n'a pas d'argent ?». Beaucoup de Roumains estiment aujourd'hui avoir eu une vie meilleure dans la Roumanie communiste.
Depuis 1994, le nombre de jeunes femmes au chômage comme Paula et Maria ne cesse d’augmenter, en dépit d'un bon niveau d'instruction moyen ou supérieur, d'une croissance économique de 5% et de la confiance du marché international des bourses, confiance acquise depuis l'adhésion à l'Union Européenne en 2007...

Isabelle Demeyère