: Notes d’intentions de Julie Bérès, mars 2008
Sous les visages met en jeu sous la forme d’un certain surréalisme pouvant aller jusqu’au burlesque,
quelques uns des dérèglements psychiques et comportementaux que secrète une société
contemporaine où le culte de la performance prolifère sur le dos d’une précarité grandissante, et qui
invente de nouvelles formes d’addiction pour refouler l’angoisse de la mort.
Une fiction tissée d’actions fantasmatiques, pour débusquer et faire voir, entendre, ressentir, l’obscure
sarabande de ce que tous nos affairements quotidiens refoulent.
Sous les visagesest une invitation dans l’espace mental d’une femme, qui pour fuir sa propre réalité,
se laisse absorber par un monde virtuel. Fantasmant, cette femme se réinvente ainsi une identité.
Une invitation à un drôle de manège, en somme, où les temps se mêlent, où l’identité flotte, où la
parole circule dans des correspondances aléatoires, où les échappées composent de singuliers échos.
Cobayes conditionnés d’un système de performance généralisée, rouages d’une machine aveugle qui
nous dévore
Pas très gai ? Pire, à certains moments, ce pourrait être burlesque, au-delà du normal, dans l’excès,
l’invraisemblable, l’onirisme. Au-delà du réel, dans une sorte de distorsion où le fantasme surprend
sa propre fantaisie.
Précarité et misère symbolique « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? », avait déclaré Laurence Parisot , la présidente du MEDEF . La précarité
est aujourd’hui un fait social majeur, qui touche aussi ceux qu’il est désormais convenu d’appeler « les
travailleurs pauvres ». Alors que certaines formes de travail se banalisent, la valeur-travail reste
cependant associée aux notions de réussite, de fierté de soi, de reconnaissance sociale.
Cette « valeur-travail » serait-elle un mirage ? « Les managers proposent de faire de chaque salarié
un situationniste, lui enjoignant d’être spontané, créatif, autonome, mobile, sans attaches et accueillant
à bras ouverts la précarité de l’existence », écrit Guillaume Paoli dans son Eloge de la démotivation.
Sous les visages fait écho au sentiment d’humiliation que subissent ceux qui, tout en se conformant
à l’idéologie dominante, ne peuvent se sortir de leur situation. De ceux auxquels on promet et qui ne
cessent d’attendre. De ceux auxquels on donne juste assez pour qu’ils continuent à consommer.
Medias Il y a un écart vertigineux entre les représentations de notre société et sa réalité. L’impact des
moyens de communication tend à créer un univers parallèle, un monde de tous les possibles. Les
médias se présentent comme une famille de substitution, une manière de briser sa solitude ; mais de
quelle communauté s’agit-il ? On y propose un imaginaire gratuit mais pauvre : une « misère
symbolique », selon le philosophe Bernard Stiegler.
Loin de nous, toutefois, l’idée de construire une parole lénifiante, ou d’envisager, comme ce fut le cas
pour de nombreuses adaptations théâtrales issues de La misère du monde de Pierre Bourdieu, une
transcription réaliste de situations vécues. Il s’agit de faire naître les ressources d’un théâtre suggestif,
de poser les conditions de création d’un espace mental et poétique. Selon une structure narrative
discontinue, composée de séquences reliées par une succession de glissements, d’associations,
d’images, de transferts de sens... ce que Witkiewicz appelait « la logique interne du devenir
scénique » devient le moteur dramaturgique, scénographique et visuel. En ce sens, la référence au
surréalisme (notamment certains films de Luis Buñuel), matrice secrète du travail d’écriture, n’est pas
anodine. Dans nos sociétés de contrôle, où l’obsession sécuritaire prend le pas sur d’autres aspects
fondamentaux du « vivre ensemble », l’activité léthargique principale qu’est le rêve, qui demeure
comme un espace de liberté individuelle, garde une fonction subversive.
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