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Sniper

+ d'infos sur le texte de Pavel Hak
mise en scène Renaud Cojo

: Du constat à la nécessité

“La terreur plonge l’homme dans un univers suffoquant, où les bras des victimes s’agitent et gesticulent, accusant ceux qui accouchent les femmes avec des balles tirées en plein ventre, condamnant ceux qui (après s’être enfoncés dans l’abject) règnent fièrement au milieu des ruines. C’est là, dans cet univers d’anéantissement et de cruauté, que l’éthique étreint l’homme. L’humanité peut-elle vivre plongée dans le crime jusqu’à la naissance assassinée? Ce que je sais (moi qui me moque de la culpabilité, moi qui abhorre les prêcheurs de morale, moi le bloc de marbre trônant armé sur un bloc d’acier à l’entrée bétonnée d’une galerie souterraine, moi le MONSTRE DE L’INHUMANITE (à présent saisi d’effroi à cause du manque d’explosifs) - c’est que l’humanité entre dans l’ère de l’autodestruction!”
Sniper - Pavel Hak



On le voit, le constat que nous donne Pavel Hak ne laisse pas beaucoup d’espoir sur la possibilité pour l’homme de contrarier ses bas instincts, pour la bonne raison que, n’ayant rien de naturel, ils trouvent leur essence dans le processus même de civilisation.
Inutile de chercher des raisons profondes aux massacres et guerres perpétrés par l’homme contre ses semblables, qu’elles soient sociologiques ou économiques. Il suffit, même pour les crimes contre l’humanité de s’en remettre aux pires penchants : l’envie de tuer, le désir de butin, la jalousie. Pas besoin de grandes idées non plus pour tuer, religieuses, idéologiques ou autres. Ici, le contexte semble n’expliquer rien, car devant le crime c’est la liberté de le commettre ou pas qui se joue. Il est consternant en effet de constater combien est bas le seuil d’inhibition, en présence de circonstances favorisant le déchaînement de la cruauté individuelle et collective. Mais les hommes savent ce qu’ils font.
Ainsi ce sniper où “tireur isolé” semble porter au bout de son arme, la conclusion d’un monde qui n’en finit pas de se terminer...


Cette guerre qui n’est volontairement pas située par son auteur ne laisse pas de doutes sur les récents conflits serbo-croates, et cristallise en dehors des aspects frontaliers la dynamique implacable de notre inhumanité inquiète. Inquiétude dont le fondement est l’état de guerre permanent propre à cette tension perpétuelle entre ce qu’est tout un chacun et ce qu’il aurait aimé être.


Cette “part d’obscur” dont j’axe la part essentielle de mon travail depuis la création en France de Phaedra’s Love de Sarah Kane au Théâtre de la Bastille et de La marche de l’architecte de Daniel Keene au Festival d’Avignon, trouve ici une expression radicale renforcée par un espace littéraire sans précédent.


Une fois encore il s’agit bien du visage de la figure humaine, de “la révélation du monstre” dont on continue aujourd’hui à inventer puis à désigner l’autre comme entité si éloignée de nous. Volonté sociétale visant de plus en plus à châtrer l’individu de cette part d’ombre qui semble pourtant être la sienne. La peur de la bestialité étant le fondement de la perspective universaliste, elle est le fonds de commerce intangible de tous les moralistes. Pourtant l’appel de cette fascination que l’homme exerce pour la violence est celui d’un conflit anthropologique entre la mort et le vivant. Une mort partout présente et rapportée jusque dans les journaux télévisés, la presse sensationnelle, les séries de fictions, etc... Hypocrisie d’une époque qui nie donc la formidable ambiguïté de la figure humaine en délestant cette réalité intrinsèque au particularisme de quelques monstres désignés du doigt.
Le mal est constitutif de l’homme, il a une réalité immédiate qu’il est impossible de nier mais dont on s’interdit de voir la présence ni à fortiori de comprendre, car le voir et le comprendre serait lui accorder une légitimité qu’il ne devrait pas avoir. Cette part du monstrueux n’est pas le produit de malhonnêtes imaginations humaines, mais une forte et intangible réalité avec laquelle il convient de composer.


Ma volonté de porter à l’espace du visible l’ignominie de la barbarie guerrière s’axe d’abord sur la nécessité de composer avec l’ombre plutôt que la dénier afin d’homéopathiser le mal jusqu’à le dépasser. Le destin de l’humanité ne peut faire d’abord sans la reconnaissance de cet appétit du chaos pour ensuite le transfigurer. Fonder une reconnaissance commune à ce lien, afin de cerner notre appétit d’une harmonie fraternelle. Ma mise en scène de Sniper participera à l’exploration de cet obscur comme un travail archéologique, remonter vers les strates souterraines d’une conscience en vacances afin de nous donner à réfléchir sur la “condition d’humain”.


Renaud Cojo
Déc 2002

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