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Singularités ordinaires

mise en scène Christophe Rulhes

: Les Intentions de mise en scène

I - PRINCIPES


« Julien Cassier, Sébastien Barrier et moi-même avons fondé le GdRA en 2007 afin de vivre pleinement notre amitié. Depuis, en laissant faire nos envies et nos disciplines plurielles, nous proposons un théâtre narratif et performatif à la dramaturgie fragmentée dont les outils sont les arts que nous croyons savoir faire et découvrir tous les jours encore : le jeu d’acteur, la danse et le mouvement, la musique, le film documentaire, la phonographie, le montage son et vidéo, le graphisme. Ne rien s’interdire et tout se permettre a priori ressemble à l’un de nos rares principes. Une cabrette auvergnate, cornemuse d’origine ancienne, peut côtoyer au plateau un dispositif électroacoustique et le corps d’une danseuse classique occidentale.


Dans nos processus ouverts d’enquête sur le réel et de recherche au plateau, j’écris des textes, fais de la mise en scène, fabrique de la musique, propose de la scénographie et déclenche des chiquenaudes initiales qui vont provoquer, je l’espère mais pas à coup sûr, nombre d’actions pour nous tous. D’une scène vers une musique, d’une musique vers une scène : un cadre proposé à mes partenaires de jeu. Le début d’une trame à crocheter ensemble. Là je regarde, note, discute, négocie, anime une forme de diplomatie pour petit groupe aux affinités prononcées.


J’ai pratiqué les sciences humaines à l’EHESS et je partage ces disciplines avec mes amis dans nos réalisations, notamment en mettant en oeuvre le recueil des informations nécessaires à nos créations et qui emprunte aux techniques qualitatives de l’ethnographie. Mon écriture est donc imprégnée d’un corpus d’influences littéraires, cinématographiques, poétiques ou théâtrales, mais aussi anthropologiques, sociologiques, ethnologiques et philosophiques qui travaillent notre théâtre en soubassement. L’enquête est la façon dont nous travaillons, à l’affût des indices qui nous font, que des témoins nous donnent, et qui sont les prémices intuitifs et inductifs de nos histoires.


Dans notre bac à sable d’homo ludens en quête de narration – état fréquent de nos ateliers de recherches – Sébastien Barrier joue avec les arts de la parole orale dite, portée, formalisée, improvisée, débridée. Il filme de plus en plus, monte, réalise. Sa réflexion sur les mots est constante, son corps et sa voix au plateau participent de l’identité profonde du GdRA. Julien Cassier danse, fait de l’acrobatie, parfois du trampoline, souvent de la scénographie, du son et de l’image, du graphisme. Il filme aussi. Il poursuit son parcours du corps qu’il engage dans des directions personnelles et qui habitent l’esthétique chorégraphique du GdRA. Ensemble, avec les corps, les voix, les timbres, les danses, les images, les espaces, mes mots et mes propositions de départ, nous écrivons au plateau les assemblées qui viennent voir nos spectacles, à destination de tous les publics.


Nos parcours ont éprouvé avec joie la rue – je pense notamment au personnage de Sébastien Barrier alias Ronan Tablantec – les squats punks, les veillées traditionnelles, les fêtes de village, les chapiteaux de cirque, les soirées improvisées et confidentielles en club jazz ou dans les locaux d’un CDC, les actions et performances en Centre d’arts, la fureur des événementiels du spectacle de rue.


Nous sommes d’origine « populaire » et nous revendiquons la mixité sociale et artistique, dans tous les sens, sans hiérarchie ou légitimité absolues et a priori. Ensemble et tous les trois, au fil de nos créations, nous orientons les expériences de « notre compagnie » et, en fonction des récits que nous voulons mettre en oeuvre, provoquons des rencontres avec des réalisateurs, danseuses, comédiennes, costumières, éclairagistes, ingénieurs du son, vidéastes, programmeurs en informatique, dessinateurs, etc.


Nous concilions l’amour de la performance in vivo jouée aussi bien dans les théâtres que dans les musées, la rue ou les marchés couverts. Nous admirons la Personne, sa part singulière comme sa part communément humaine. Nous aimons les communautés que font ces personnes et dont nous essayons de goûter les irréductibles et magnifiques différences ou proximités. Nous refusons de tolérer ou d’intégrer les identités ou les esthétiques, nous souhaitons en revanche favoriser les dialogues et les relations en préservant les altérités. Dans notre théâtre, nous ne revendiquons pas de collages, de fusions ou de maelströms, mais beaucoup de relations, de continuités et de traductions entre des entités, disciplines ou existants intègres. Enfin, c’est l’ordinaire et l’expérience quotidienne que nous invitons dans les histoires que nous écrivons. Comme Emerson, Dewey ou De Certeau, nous cherchons cet ordinaire et ces arts de faire là, ceux qui font de nous tous des singularités ordinaires à l’aune d’un regard pragmatiste et compréhensif. Comme Piscator ou Weiss, l’événement réel nous passionne, et nous aimons toutes les histoires, la Grande comme les Grandes. L’Histoire n’est qu’une conclusion arbitraire et configurée d’innombrables controverses à raconter.


Ainsi, « de quoi voudrions-nous connaître le sens ? De la farine dans le quartant ; du lait dans la casserole ; de la balade dans la rue ; des nouvelles du bateau ; du coup d’oeil ; de la forme et de l’allure du corps. »[1]


Voilà notre théâtre. Il y a des actions, des objets, des danses, des portraits, des histoires, des familles, des musiques, des voyages, des acrobaties et contorsions, des gens. Pour un théâtre adressé à tout un chacun, se voulant ludique, anthropologique, ouvert dans ses processus et ses actions diverses, formant une discipline diffuse et rigoureuse à la fois. Pour un théâtre dont le fondement sensible est la personne avec ses émotions, ses chutes et ses grandeurs.


II - CRÉATIONS


Le spectacle Singularités ordinaires fût créé pour la salle en octobre 2007. Il joue depuis en France et à l’étranger. Il est le premier tome d’une écriture en trois volets consacrée à La Personne. Nous l’avons joué à Avignon l’été 2010. Au-delà des catégories nominales attribuées qui enferment souvent le sujet, qu’est-ce qu’un personne ? Comment agit-elle, par qui ou par quoi est-elle agie ? Comment tient-elle debout et cohérente ? Avec quels récits endogènes et exogènes, quel corps, quelles psychologie, famille, communauté et réflexivité ?


Nour sera créé en novembre 2010 comme étant le second volet de ce triptyque. On y jouera la famille et ses enjeux de transmission en situation de bouleversement et de voyage. Le troisième abordera la désaffiliation dure, quand l’esprit ou le corps ne tiennent plus, toujours à l’appui d’enquêtes ethnographiques.


En 2008, nous avons initié un cycle de créations et d’enquêtes que nous nommons Les Experts du Vécu. Ce terme est aussi utilisé par la compagnie de théâtre Rimini Protokoll pour désigner des personnes ordinaires forcément au fait de leur quotidien, de leurs us et de leurs coutumes. Il est issu d’une appellation désignant un nouveau type de travailleurs sociaux en Belgique qui considèrent les ressources potentielles des personnes, même les plus précaires, comme des informations dignes d’intérêts. Notre cycle Les Experts du Vécu a produit plusieurs propositions.


Les Portraits performances sont des biographies en spectacle de personnes vivantes : L’Atelier d’Ana évoque la vie d’Ana Maria Ramal Zambrano, Chafre est le portrait paysan de Renée Jeanne Faure, Parlera-t-on de Mr I ? est une petite muséographie de Monsieur Icard. Au sein du même cycle, nous avons fabriqué Les Portraits et territoires, qui mettent en jeu une pluralité de points de vue. Robert, Arlette… actes 1 et 2 a présenté un concert de choristes amateurs en lien avec des personnes de leur entourage qu’ils avaient choisies et que nous avons filmées, projetées, enregistrées, dessinées. Ethnographiques, que nous jouons à Avignon cet été et Or il faisait Nuit furent issus d’un processus de recueil de textes d’auteurs professionnels et amateurs auxquels nous avons donné des contours en quatre dimensions sur le plateau de jeu.


Le cycle Les Experts du Vécu et les ateliers Pour une belle diplomatie sont des processus exploratoires qui nous permettent d’aboutir cependant des formes finies, en lien avec des personnes, des territoires et des partenaires spécifiques. Elles sont plus ou moins ponctuelles et peuvent avoir un caractère éphémère. Seules quelques unes d’entre elles rejoignent notre répertoire. Elles sont un terrain de jeu permettant d’allier créations et restitutions et viennent nourrir des écritures plus chroniques qui embrassent plusieurs années, comme le triptyque de La Personne. »

Notes

[1] Ralph Emerson, 1837

Christophe Rulhes

28 juin 2010

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