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Sans faim & Sans faim 2

mise en scène Hubert Colas
Création à partir des textes Sans faim de Hubert Colas, Sans faim 2 de Hubert Colas,

: Hubert Colas

Le terme même de sens devrait être remplacé par quelque chose comme « possibilité » ou « trace ».
(Georges Steiner)


Hubert Colas est un auteur de théâtre. Il cumule les fonctions d’écrivain, de metteur en scène et de scénographe. Mais cette omniprésence n’a rien d’envahissante, elle participe au contraire d’une forme effacement sans quoi la «possibilité nécessaire» de l’art ne pourrait advenir. Ainsi, Hubert Colas ne prend possession de l’espace théâtral que pour le rendre disponible. « Les acteurs sont aussi auteurs… De même, mes scénographies sont relativement minimalistes. Elles n’enferment pas l’écriture, ni l’acteur, ni la lumière ou la vidéo. Tous ces éléments concourent à un décollage collectif, à une possibilité de dialogue ». L’auteur de théâtre ne crée que les conditions de la matérialisation de la parole collective. « La puissance de l’écriture donne la matière scénique, une matière émotionnelle, qui crée de la distance ou du reflet ».


Nous sommes, ici, dans le domaine de l’incarnation. L’écriture n’est pas spirituelle, immatérielle et incorporelle. « Découvrir ma langue à travers le corps d’un acteur me paraît fondamental ». Elle traverse forcément un corps qui l’abrite avant de l’expulser. « Ce sont des corps vivants qui se baladent dans mon écriture, dont le mien aussi forcément. À partir de là, je commence à dérouler une langue inconnue, en tout cas qui fait apparaître des méandres inconnus. Dans mon chemin d’écriture et de metteur en scène, il y a cette espèce de pas dans le vide. Je me confronte alors à un trou béant. J’avance dans ce mouvement-là sachant aussi que l’on n’identifie l’inconnu que par rapport à ce qui nous est déjà connu ».


Hubert Colas ne cesse de réactiver la consistance charnelle d’une langue par ailleurs dévitalisée, décharnée. Ses personnages luttent contre la nécrose, la desquamation du langage. Dès sa première pièce, Temporairement épuisé (1988), il mettait aux prises de jeunes adultes incapables d’ancrer durablement leur être dans le monde. La relation à l’autre, intense, ne procède donc pas de l’incommunicabilité. Mais les différentes intensités n’arrivent pas à s’accorder. Au contraire, au plus ellesmontent en puissance, au plus le malentendu grandit. « Son histoire c’est aussi mon histoire / Seulement moi / Je n’osais pas la lui faire entendre / C’est comme ça qu’il nous est arrivé d’être l’un en face de l’autre / Sans que je le sache / Sans qu’il le sache lui aussi ».


L’urgence consiste alors à résister à l’attrait du néant. C’est littéralement une question de vie ou demort pour Sidéré, le « garde du corps » dans Terre (1992) : « Mes mots / ne disaient plus rien / Mesmots / Se taisaient pour ne rien dire / Des sons vides qui crevaient / A l’envie de dire / Ma bouche est chaude de mots / Comme un sexe qui a oublié / Depuis bien des temps l’amour / Mes mots / Je me les meurs / Comme un grand éclat de rire / Vois-tu / Jeme lesmeurs ». Dans Sans Faim(2004), la langue agit comme un détonateur qui va pulvériser la bulle derrière laquelle les personnages se sont retranchés : « La peur profonde envahit tous mes mouvements et rend mon corps tel un cadavre aux désirs improbables des autres». Et dans le monologue souterrain de Texte M (2004), elle nous permet de pénétrer à l’intérieur d’un esprit et de toucher au point de séparation irrémédiable entre le je et les autres ; comme un écho lointain au cri poussé par l’homme des Carnets du sous-sol de Dostoïevski : « Moi je suis seul, eux ils sont tous ».


Mais Hubert Colas n’est pas centré sur son écriture. Il puise aussi dans d’autres « substances de vie », apparemment sans confluences : Christine Angot (Nouvelle Vague, La Fin de l’amour), Sarah Kane (Purifié, 4.48 Psychoses),Witold Gombrowicz (Mariage), Shakespeare (Hamlet), Martin Crimp (Face au Mur). Pourtant les zones de voisinages existent. Elles se situent à l’endroit d’un état de conscience du monde le plus global possible. « Quand je traduis Shakespeare, je ne recherche pas la langue de l’écrivain, mais sa naissance. D’où provient-elle ? Qu’est ce qui fait, à un moment donné, que mon corps y a été sensible et comment fouiller à l’intérieur de cette langue pour y trouver des particules qui m’animent et vont m’aider à animer l’acteur ».


Le temps pour devenir visible cherche des corps (Gilles Deleuze) Ce théâtre-là est fondamentalement troublant, car il se joue intégralement au présent, dans la puissance de l’instant. « Le travail avec les acteurs consiste à préparer cette sensibilisation à l’immédiateté pure, donc à l’interprétation du corps vivant aujourd’hui. » Il serait tellement confortable de vivre par procuration et en différé pour amortir le choc avec le réel. Le divertissement nous éloigne de la vie, le théâtre nous en fait sentir l’intensité et nous signifie que toute dérobade est illusoire.
D’où un autre malentendu avec la compagnie Diphtong quant à la satisfaction esthétique. « Nous ne créons pas un objet,mais un mouvement qui s’inscrit dans le temps. L’objet que nous proposons n’invente pas grand-chose. Il réunit un ensemble d’énergie, une perception immédiate d’un état d’être. Plus tard, on verra peut-être, à travers différent objets, se dessiner un acte qui lui sera un acte créateur ».


Il ne s’agit pas de reproduire du déjà vu, du déjà vécu, mais de se rapprocher d’une forme de conscience pleine et entière. La fiction chemine à l’intérieur de structures et de phénomènes réels, par un jeu de relation entre les êtres et les choses et selon un principe qui n’a rien d’obscur. Les situations ne sont pas forcément nommées, encore moins prédéterminées, par contre, elles sont parfaitement signalées. La représentation éclaire alors une évidence : c’est par l’interprétation que l’individu conquiert son espace de liberté.


Nous sommes dans le champ de l’immanence, ici et maintenant, et non dans le mirage d’une quelconque transcendance. Pourtant, nous pouvons aspirer au dépassement de l’homme. « La notion de dépassement est comprise dans la liberté que l’interprète se donne ; une possibilité qui l’habite, mais qu’il ne mesure pas. Il n’est pas traversé par une puissance du génie qui lui tomberait du ciel ».
Ce mouvement provient essentiellement d’une interaction. Là encore, pas de fantasme sur une communauté humaine idéale ou préexistante. Elle existe parce que nous avons la volonté de la réinventer constamment. « Nous sommes dans le mouvement d’une réunification qui n’est faite que pour se dissoudre ».
Le théâtre est essentiel parce qu’il nousmaintient en état d’alerte contre les forces de désagrégation à l’oeuvre dans nos sociétés. « Ce qui semble être uni la seconde d’après ne l’est plus (…) Rien ne reste de palpable après la représentation. Sinon dans les têtes, dans ce qui concourt à penser. Mais pour une société extrêmement matérialiste, il ne reste plus rien ».
Seulement un aveuglement qui ne fait que décupler la peur, alors que tout nous appelle à acquiescer à l’inconnu. « Le risque est la problématique même de l’existence et dans le champ théâtral, elle est la substance même du travail ». Heureusement, certains individus refusent de lâcher prise et s’acharnent à accompagner, produire et diffuser ce mouvement de création. « Leur geste est un véritable risque. Il assume le risque de l’échec, la possibilité donnée aux artistes de se tromper ».
Nier cette possibilité d’échec, n’est-ce pas le plus sûr moyen de courir à sa perte ?

Fred Kahn

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