La Seconde Guerre mondiale a douloureusement partagé la Croatie entre ultra-catholiques soutenant les nazis et communistes combattant les Allemands. À l’issue de la guerre, dans la Yougoslavie de Tito, le théâtre croate uit la voie du réalisme socialiste, engagé au service e l’utopie collectiviste, mais cède la place, dès 1948, à une affirmation de l’individu et de ses intérêts.
C’est le début d’une réinterprétation des grands mythes ittéraires et européens qui permet, à travers un théâtre olitique ou grotesque, de parler ouvertement de la réalité comme d’une variante light du communisme. Branko Gavella (1885-1962), qui collabore depuis ses débuts avec Moroslav Krleza (1893-1981), l’un des hommes de lettres yougoslave les plus significatifs du XXe siècle, fonde en 1950 l’Académie du Théâtre et, en 1954, le Théâtre dramatique de Zagreb qui deviendra le fief d’un groupe de metteurs en scène (Kosta Spaić, Dino Radojević, Georgij Paro et Bozˇidar Violić), surnommé «Le Cartel », qui survivra à la mort de Gavella en 1962.
Le Théâtre dramatique de Zagreb porte toujours le nom de Gavella (Gavella Drama Théâtre), figure décidément tutélaire du théâtre croate, qui y a tout bouleversé.
Il a fait de ses répétitions une fascinante université théâtrale où se sont instruits de nombreux acteurs yougoslaves. Ceux-ci, en révolte contre les institutions affaiblies, recherchent dans les années 70 des formes alternatives alors que se distingue, par des réflexions postmodernes audacieuses, une nouvelle génération de metteurs en scène.
Lorsqu’en 1991 la Croatie déclare son indépendance, déclenchant une guerre civile contre les Serbes (1991-1995), la question de l’identité nationale et l’angoisse vécue au quotidien servent de matériau à un auteur déjà expérimenté comme Slobodan Snajer (dont le Faust croate montrait la division tragique de l’entité nationale au XXe) qui écrit La Dépouille du serpent, ainsi qu’à de jeunes auteurs tels Filip Sovagović, Ivan Vidić, Nina Nuić-Mitrovic ou encore Asja Srnec Todorović et son théâtre de l’absurde, et Ivana Sajko, qui traite de l’impuissance et de la révolte de l’individu. C’est durant cette terrible période de l’histoire de leur pays que Nataša Rajkovic et Bobo Jelčić se lancent, ensemble, dans la dramaturgie (1993). Ils ont alors respectivement 29 et 27 ans : elle est née à Zagreb, il est né à Mostar. Depuis 1996, ils écrivent et conçoivent leurs propres spectacles au Zagreb Youth Théâtre, célèbre pour son Youth Studio aujourd’hui connu sous le nom de l’école ZKM où toute une génération de comédiens et d’acteurs a vu le jour. En présentant des pièces majeures de la littérature croate et internationale ainsi que des pièces pour le jeune public, le ZKM s’inscrit dans un vaste projet social qui intègre l’éducation de la jeunesse, face à un public de plus en plus nombreux et exigeant.
Depuis 2006, le Zagreb Youth Théâtre accueille nombre de créations européennes majeures, devenant un lieu de partage et de débats sur la création théâtrale dans une société en mutation en quête de repères esthétiques.
C’est dans ce cadre que Nataša Rajkovic et Bobo Jelčić s’attachent à trouver leur propre mode d’expression.
Depuis An uncertain Story (1998) qui rencontra un succès retentissant dans le monde et leur valut de nombreuses récompenses, il est avéré que leur écriture est parmi les plus pertinentes en Europe. S Druge Strane

Isabelle Demeyère