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Rituel pour une métamorphose

+ d'infos sur le texte de Saadallah Wannous traduit par Rania Samara
mise en scène Sulayman Al-Bassam

: Traduire "Rituel pour une métamorphose"

Par Rania Samara, traductrice

Bien avant de rencontrer Saadallah Wannous, j’avais lu et vu toutes les représentations de ses pièces. J’appréciais ce dramaturge qui faisait figure d’intellectuel intègre, sérieux et dévoué, qui portait les soucis de sa société et partageait tous les événements politiques de son pays, qui était de tous les combats pour la liberté et qui dénigrait les postes officiels et la fortune qu’il aurait pu acquérir en rejoignant le régime au pouvoir, étant issu de la même communauté religieuse.


J’étais heureuse et émue en apprenant que la traduction de Rituel pour une métamorphose m’était confiée, car je considérais cette pièce comme un tournant dans le parcours du dramaturge, où il est passé du « je » de la conscience collective au « je » de la rébellion individuelle, et comme l’une des plus belles pièces du théâtre arabe, sinon la plus belle et la mieux aboutie. C’est à cette occasion que j’ai fait réellement connaissance avec l’auteur et je me suis souvent rendue chez lui où j’ai pu rencontrer quelques-uns de ses amis intellectuels, écrivains, penseurs, traducteurs, cinéastes, doctorants, comédiens et artistes arabes ou européens. Amaigri, miné par le cancer, mais l’esprit vif, délicat et caustique à la fois, je le voyais toujours enveloppé dans une épaisse robe de chambre et coiffé d’un bonnet de laine qui cachait sa calvitie due à la chimiothérapie. Il recevait, installé à la même place sur le canapé, avec, devant lui une carafe et un verre d’eau qui l’aidait à désaltérer son larynx malade.


Aussi, connaissant à fond toute son oeuvre et apprenant à connaître l’homme, le fonctionnement de sa pensée, son style et sa parole, j’étais très consciente de la responsabilité qui m’incombait. Je me suis lancée dans la traduction avec passion et amour, d’autant plus que, damascène moi-même, je connaissais bien les arcanes de la vie sociale dans cette ville millénaire où toutes les relations, familiales, religieuses, économiques et étatiques étaient codées, figées même. Par ailleurs, étant femme, je comprenais les aspirations de cette femme – personnage magnifique et unique dans le répertoire arabe – qui désirait briser les tabous et les interdits où elle baignait depuis sa naissance, afin de pouvoir s’envoler avec légèreté et danser librement. J’avais le sentiment que, par le biais de la traduction de la pièce, je contribuais à faire connaître au monde entier les obsessions et les rêves de liberté des femmes et des hommes de mon pays.


Un siècle après les événements réels dont la pièce s’est inspirée, la justesse du ton, la pertinence du propos, reflètent encore et toujours la société syrienne et répondent au dessein de Wannous : « Mon intention était de provoquer une interrogation problématique que j'estime actuelle et toujours renouvelée. » En effet, cette très belle pièce – qui prend presque l'allure d'un conte – touche à l'être profond de l'individu, brimé par les codes sociaux et la morale collective, elle s’intègre au théâtre classique universel du point de vue de sa charpente dramatique qui se construit autour d’un argument et d’une structure binaire des personnages que je percevais comme autant de fantômes qui se meuvent au fond de nous, dans notre mémoire. L’auteur réussit à pénétrer au fin fond de l’être humain, à dévoiler la fausseté des relations sociales où les contraires se rejoignent, les fêlures sociales et politiques se mêlent aux problèmes d’identité et où les êtres s’effondrent et les destinées se confondent, où règnent la folie, la chute, la mort permettant la découverte du désir, de l’amour et du corps.


Pendant six semaines intenses, je me suis concentrée sur cette traduction, plongeant corps et âme dans l’oeuvre, haletante, hantée jour et nuit par les répliques, au point de me lever quelquefois en pleine nuit, parce qu’un mot ou une expression venait de surgir dans mon esprit, qui me semblait correspondre mieux au rythme, au sentiment ou à l’ambiance que je cherchais à créer dans le texte d’arrivée. Il me fallait absolument réussir à restituer en français le climat shakespearien que Wannous avait créé en arabe.
Aujourd’hui, en relisant cette pièce qui constitue à mon avis le centre névralgique du grand oeuvre de Wannous et qui s’inscrit, par le biais de la Comédie-Française, dans le répertoire classique universel, je perçois encore mieux la grandeur, la profondeur de l’univers de ce dramaturge prémonitoire qui a eu la vision des bouleversements ravageant actuellement la Syrie. De nombreuses questions posées dans ses pièces commencent à recevoir leurs réponses et le monde édifié sur un équilibre social précaire n’attendait qu’une étincelle pour éclater.


Le théâtre de Wannous comme introduction à la condition humaine, je le retrouve encore et toujours en travaillant sur la traduction d’autres pièces de Saadallah Wannous.

Rania Samara

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