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Richard III

+ d'infos sur le texte de Peter Verhelst traduit par Christian Marcipont
mise en scène Ludovic Lagarde

: Entretien 1

Entretien avec Ludovic Lagarde



Richard III sera la première pièce de Peter Verhelst traduite et jouée en France. Comment avez-vous découvert cet auteur ?


Ludovic Lagarde : En 2005 le Festival d’Avignon avait organisé un cycle de lectures de pièces de théâtre belges, et m’avait demandé d’en assurer la présentation en compagnie de Laurent Poitrenaux avec les élèves sortants de l’École régionale d’acteurs de Cannes. Parmi les textes que nous avons lus, celui qui m’avait le plus intéressé et le plus intrigué était ce Richard III. Dès la première lecture je l’ai trouvé d’une grande beauté stylistique, avec un contenu plutôt sulfureux. Ces impressions se sont confirmées pendant le travail avec les interprètes. J’ai ensuite rencontré l’auteur venu assister à la lecture et je lui ai fait part de mon désir de mettre en scène la pièce.


Quel rapport y a-t-il entre le Richard III original de William Shakespeare et celui de Peter Verhelst ?


Il ne s’agit pas d’une adaptation mais d’une réécriture. C’est une pièce contemporaine construite sur le schéma de Shakespeare. On pourrait dire qu’il y a un double mouvement. Dans un premier temps, Peter Verhelst compresse l’œuvre originale en concentrant le nombre de personnages et en réduisant certaines scènes à quelques indications. Il crée une voix-off qui prend en charge les raccourcis qu’il se permet quant à l’action et radicalise le propos. Pendant qu’une scène se joue dans le champ du théâtre, il y a une description en temps réel de ce qui se passe dans le hors-champ.
Dans un second temps, cette compression permet de développer des scènes ébauchées par Shakespeare en faisant ce que j’appellerais des “gros plans” sur des personnages, en particulier sur les personnages de femmes. Ainsi le rôle de la mère de Richard, la Duchesse d’York devient-il prépondérant. Verhelst s’attarde longuement sur les rapports mère-fils, ce qui n’est pas le cas dans l’œuvre de Shakespeare. Il y a une focalisation sur les rapports intimes entre les personnages. Ils viennent presque se raconter, se confesser face au public dans une adresse souvent directe. Et on ne sait pas à l’avance si cette exposition d’une parole privée sur la scène publique fait plutôt basculer les personnages du côté d’une plus grande humanité, ou au contraire dans une obscénité illégitime. Cela ressemble à des témoignages de docu-fictions anglais, à des fragments d’autofiction ou aux séances d’autocritiques des procès staliniens, autant qu’à des scènes dont on a commencé à avoir l’habitude dans le monde politique contemporain. Ces confessions sont déconnectées de toute action. Elles prennent parfois la forme d’un récit de songe.


Il y a eu déjà beaucoup de réécritures de textes mythiques par des auteurs contemporains, ne serait-ce que le Hamlet-machine de Heiner Müller. En quoi le travail de Peter Verhelst est-il différent ?


Dans le cas de Müller il y a la volonté de prendre la parole à la place de Shakespeare en faisant exploser la pièce originale. Il dit “je” suis Hamlet et il utilise la pièce comme une bombe à fragmentation… Avec Verhelst nous sommes plutôt dans un creusement, dans un approfondissement de la pièce originale. Il y a réduction puis accélération mais pas destruction. Verhelst a besoin de Shakespeare alors que Müller semble ne plus en avoir besoin.


Vous parliez du choc que vous avez ressenti à la première lecture à cause du style de l’auteur. Qu’a-t-il de caractéristique?


Son écriture dans cette pièce mêle la prose et la versification dans laquelle il utilise l’alexandrin, l’hexamètre… C’est un texte de poète dans un style très concret dont il faudra tenir compte dans le travail avec les acteurs. Les phrases sont très structurées, très ponctuées. Nous sommes face à une dynamique de la parole que créent justement ces mélanges de prose et de vers. Nous sommes dans un entre-deux très riche, et sans doute contraignant, pour les acteurs.


Dans Shakespeare, le personnage de Richard allie laideur morale et laideur physique ; comment se présente-t-il dans la pièce de Verhelst ?


Justement il ne se présente pas physiquement. Il n’y a aucune indication sur son physique dans les didascalies. L’auteur ne voulait pas de ce “trop de corps” mal formé, trop présent, encombrant. Il n’y a pas de contacts, pas de sensualité. C’est un corps absent, synthétique, un corps impossible au monde. C’est la psyché de Richard qui l’intéresse. La violence et la monstruosité passent par d’autres chemins, en particulier la force de la parole. Mais on ne peut pas pour autant dissocier complètement parole et action, au sens où ici, la parole de Richard est toujours effective : puisque Loyal, (personnage inventé par Verhelst, corps prothétique d’un Richard qui donne parfois l’impression de se refuser à toute incarnation), l’exécute toujours immédiatement. Rien ne résiste à la destruction qu’engendre Richard et ses discours.


Pourquoi la parole des femmes est-elle prépondérante dans cette pièce ?


Quand vous lisez Shakespeare, les femmes sont très présentes et fortes dans des scènes absolument inoubliables comme celle de lady Anne ou celle où la duchesse d’York et la reine Elizabeth pleurent la mort de leurs enfants dans un moment presque beckettien. Peter Verhelst prend ce matériau et l’emmène dans la modernité en leur donnant vraiment la parole, une parole intime. Ainsi la Duchesse d’York raconte son accouchement, Anne parle de la qualité étrange de sa relation érotique avec Richard…


La part politique de la pièce est elle aussi transcrite dans la modernité ?


Peter Verhelst investit tous les champs de la pièce en les nourrissant de ce qu’il ressent par rapport à l’époque dans laquelle il vit ; c’est cela qui est intéressant d’ailleurs. Ainsi le lien de la mère à son enfant est éclairé par une compréhension psychologique et humaine profonde de ce lien terrible entre mère et fils qui va les entraîner dans la monstruosité, la dévastation et la mort. Il y a là une pièce dans la pièce. Mais le lieu du politique n’est pas oublié dans la manière qu’a Richard de rechercher à tout prix une pureté pour le moins paradoxale. Serait-ce une forme d’utopie politique ? Son désir de prendre le pouvoir semble presque s’épuiser au moment même où il accède au trône, comme si rien ne soutenait cette quête d’absolu, aucun fondement idéologique ; juste un désir personnel – mais de quoi ? Peut-on vouloir le pouvoir pour le pouvoir, sans aucune autre détermination positive ? Il va très loin dans cette recherche, jusqu’à la destruction qui semble gratuite. Richard ne veut pas faire ou refaire l’histoire, il est dans la ful- gurance du geste. Tout va très vite. L’effroi est donc plus grand pour le spectateur qui peut retrouver là quelque chose du fondamentalisme qui anime un certain nombre d’individus qui mêlent salut individuel et salut politique. Peter Verhelst va très loin, puisqu’il met dans la bouche de Richard et d’autres personnages des phrases d’hommes politiques contemporains comme Gandhi, Nelson Mandela, Martin Luther King, Bill Clinton… des phrases pleines de promesses qui, dans la bouche de Richard, se confrontent à ses actes… Son désir de pureté absolue conduit aux pires atrocités – on retrouve la tragédie. En ce sens, il y a une vision politique dans la pièce.


Il y aurait une ambivalence totale de Richard ?


Bien sûr et elle est déjà présente dans le texte de Shakespeare sous d’autres formes. Avec Verhelst, nous sommes face à une sorte d’Antéchrist qui semble prendre sur lui toute la douleur du monde pour racheter l’humanité. Mais il dévore et détruit tout dans une sorte de rêve apocalyptique. Richard, dans le même geste, habite et dévore la terre par la puissance de sa psyché, de sa parole.


Cet intime que révèle Richard III n’est-il pas de la même nature que cet “intime” des femmes et des hommes politiques qui nous entourent et qui est de plus en plus exposé publiquement ?


Certainement. Il n’y a pas de hasard dans le texte de Peter Verhelst. Il parle de notre monde et du champ politique actuel. Tout ce dévoilement d’intime semble intéresser le public, les électeurs potentiels. Alors doit-on considérer cela comme un moyen d’une meilleure compréhension des motivations des politiques ou comme du voyeurisme ? Par exemple le problème œdipien de George Bush est exposé partout et semble avoir provoqué une catastrophe en Irak. Faut-il en parler ? En tout cas, Peter Verhelst pose le problème – et il n’est pas le premier si l’on se réfère aux tragédies grecques et aux origines de la guerre de Troie.


Dans quel univers esthétique avez-vous l’intention de faire vivre ce Richard III ?


Je travaille beaucoup sur les différents plans de la pièce. D’abord, au premier plan, le discours politique, puis le plan de l’intrigue politique, et en arrière-plan l’intime. Pour donner une image, c’est comme si on était face à une coupe à travers un lieu de pouvoir, un palais présidentiel, allant du perron aux bureaux des conseillers pour se terminer dans les appartements privés où se trouvent la famille et les problèmes intimes. Tout cela dans une même image puisque tout se passe en même temps. Il faut donc imaginer une scénographie qui rendra compte simultanément de la conquête du pouvoir, de son exercice, de la prise de décision politique et de l’intime. Pour rêver sur cet univers, je m’inspire du travail d’artistes comme par exemple Gerhard Richter qui m’intéresse beaucoup dans son traitement photographique du réel. Mais je pense que l’univers du conte est essentiel aussi ; j’ai été très frappé de découvrir, à l’occasion de la récente exposition sur Walt Disney au Grand Palais à Paris, que le modèle de la maison de Blanche neige fut pris dans Metropolis de Fritz Lang par exemple. Nous sommes dans un moment où politique et morale sont intimement mêlées, parfois avec une naïveté confondante. La lutte entre le bien et le mal semble le ciment idéologique de ceux qui apparaissent comme les plus violemment opposés. Utiliser le conte me semble donc un excellent moyen de parler de politique en ce moment.


La diversité de vos projets et de vos choix est troublante. Selon quelle logique bâtissez-vous votre parcours ?


C’est toujours difficile pour moi car il n’y a pas d’évidence. Il y a quand même un travail régulier avec Olivier Cadiot, qui implique d’abord une longue phase de préparation et un suivi assez prenant car les productions communes ont une durée de vie assez longue. Nous allons reprendre Le Colonel des Zouaves dix ans après sa création. Nous venons de terminer le film sur Fairy queen joué il y a déjà trois ans à Avignon. Je suis donc dans un temps de travail artisanal depuis 1997, ce qui est un privilège. Le choix des textes étant fondamental, la collaboration avec Olivier Cadiot m’a fait devenir exigeant.


Vous faites aussi preuve d’une grande fidélité aux acteurs ?


Certainement et cela m’est indispensable. Il y a des complices de longue date comme Laurent Poitrenaux et Pierre Baux ou plus récents comme Christèle Tual, Camille Panonacle et Antoine Herniotte, et d’autres qui nous rejoignent pour cette création. Tout cela s’est construit tranquillement et patiemment ; je ne vois pas comment je pourrais travailler différemment.


Propos recueillis par Jean-François Perrier en février 2007

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