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Richard III

+ d'infos sur le texte de Peter Verhelst traduit par Christian Marcipont
mise en scène Ludovic Lagarde

: Entretien 2

Entretien avec Ludovic Lagarde


Après une longue collaboration avec Olivier Cadiot, vous travaillez maintenant sur un texte de Peter Verhelst dont l’écriture mèle poésie et imagination. Comment avez vous rencontré le texte de Peter Verhelst?


Il est vrai que je suis engagé depuis presque quinze ans maintenant dans un travail régulier avec Olivier Cadiot, ce qui nous amène à nous inscrire dans des temps longs, peu habituels au théâtre : aussi bien en amont, lors de la phase de préparation des spectacles, que lors du suivi des productions menées ensemble – puisqu’elles ont une durée de vie assez longue. Nous avons par exemple repris Le Colonel des Zouaves dix ans après sa création. Nous venons de terminer le film sur Fairy queen joué il y a déjà trois ans à Avignon. Je suis donc dans un temps de travail artisanal avec Olivier Cadiot, ce qui est un privilège.


Mais cette collaboration m’a aussi amené à devenir exigent sur le choix des textes, choix essentiel pour mon travail. Aussi lorsqu’en 2005 le Festival d’Avignon a organisé un cycle de lectures de pièces de théâtre belges, ai-je été particulièrement sensible au Richard III de Peter Verhelst. Parmi les textes que nous avons lus, c’est celui qui m’a le plus intéressé et le plus intrigué. Dès la première lecture je l’ai trouvé d’une grande beauté stylistique, avec un contenu plutôt sulfureux. Ces impressions se sont confirmées pendant le travail avec les comédiens. J’ai ensuite rencontré l’auteur venu assister à la lecture et je lui ai fait part de mon désir de mettre en scène la pièce.


L’écriture de cette pièce mêle prose et versification, vers libres, alexandrins, hexamètres… C’est un texte de poète dans un style très concret dont il faudra tenir compte dans le travail avec les acteurs. Les phrases sont très structurées, très ponctuées. Nous sommes face à une dynamique de la parole que créent justement ces mélanges de prose et de vers. Nous sommes dans un entre deux très riche, et sans doute contraignant, pour les acteurs.


Quels sont les aspects du texte qui lient ce Richard III à Shakespeare et quels sont, par contre, les éléments qui l’introduisent dans l’actualité du monde contemporain ?


Il ne s’agit pas d’une adaptation mais d’une réécriture. C’est une pièce contemporaine construite sur le schéma de Shakespeare. On pourrait dire qu’il y a un double mouvement. Dans un premier temps, Peter Verhelst compresse l’œuvre originale en concentrant le nombre de personnages et en réduisant certaines scènes à quelques indications. Il crée une voix-off qui prend en charge les raccourcis qu’il se permet quant à l’action et radicalise le propos. Pendant qu’une scène se joue dans le champ du théâtre, il y a une description en temps réel de ce qui se passe dans le hors champ. Les ravages de Richard ne sont pas relégués à un arrière-plan historique, au contraire, par le biais de ces récits, ils envahissent le plateau très tôt dans la pièce.
Dans un second temps, cette compression permet de développer des scènes ébauchées par Shakespeare en faisant ce que j’appellerais des « gros plans » sur des personnages, en particulier sur les personnages de femmes. Ainsi le rôle de la mère de Richard, la Duchesse d’York, devient-il prépondérant.


Verhelst s’attarde longuement sur les rapports mère-fils, ce qui n’est pas le cas dans l’œuvre de Shakespeare. Il y a une focalisation sur les rapports intimes entre les personnages. Ils viennent presque se raconter, se confesser face au public dans une adresse souvent directe. Et l’on ne sait pas à l’avance si cette exposition d’une parole privée sur la scène publique fait plutôt basculer les personnages du côté d’une plus grande humanité, ou au contraire dans une obscénité illégitime. Cela ressemble à des témoignages de docu-fictions anglais, à des fragments d’autofiction ou aux séances d’autocritiques des procès staliniens, autant qu’à des scènes dont on commence à avoir l’habitude dans le monde politique contemporain. Ces confessions sont déconnectées de toute action. Elles prennent parfois la forme d’un récit de songe.
Verhelst, à partir de la trame shakespearienne, parle manifestement de notre monde et du champ politique actuel. Tout ce dévoilement intime semble intéresser le public, les électeurs potentiels. Alors doit-on considérer cela comme un moyen d’une meilleure compréhension des motivations des politiques ou comme du voyeurisme ? Le problème œdipien de George Bush, par exemple, est exposé partout et semble avoir provoqué une catastrophe en Irak. Faut-il en parler ?


La lecture de Verhelst néglige le drame politique au profit d’un drame entre les sexes. L’ouverture et la clôture de la pièce – une tragédie ? - sont confiées à la Duchesse qui prononce des monologues d’une cruauté exacerbée. Quel est le rapport entre Richard et les femmes ? Avec la mère ? Et Lady Anne ?


Je ne suis pas certain qu’on puisse dire que Verhelst néglige le drame politique. Ce qui est vrai, c’est que si Richard III est parfois classé du côté des tragédies shakespeariennes, cette pièce est tout de même le plus souvent associée à ses pièces, ses drames historiques. Et on peut dire en effet que Verhelst, dans son geste de compression, déshistoricise quelque peu ce {Richard } : aux références historiques élisabéthaines se mêle un registre contemporain qu’il nous faut prendre en charge. Peter Verhelst va même très loin, puisqu’il met dans la bouche de Richard et d’autres personnages des phrases d’hommes politiques contemporains comme Gandhi, Nelson Mandela, Martin Luther King, Bill Clinton… des phrases pleines de promesses qui, dans la bouche de Richard, se confrontent à ses actes… Son désir de pureté absolue conduit aux pires atrocités ; en ce sens, on peut dire que Verhelst propose aujourd’hui une vision politique dans la pièce, même si l’accélération à laquelle il se livre met indéniablement l’accent sur le rapport de Richard aux femmes qui l’entourent… comme le faisait aussi Carmelo Bene d’ailleurs…


Mais quand vous lisez Shakespeare, et tout particulièrement Richard III, les femmes sont déjà très présentes et fortes dans des scènes absolument inoubliables comme celle de Lady Anne ou celle où la Duchesse d’York et la reine Elizabeth pleurent la mort de leurs enfants dans un moment presque beckettien. Peter Verhelst prend ce matériau et l’emmène dans la modernité en leur donnant vraiment la parole, une parole intime. Ainsi la Duchesse d’York raconte son accouchement, Anne parle de la qualité étrange de sa relation érotique avec Richard…


Peter Verhelst investit tous les champs de la pièce en les nourrissant de ce qu’il ressent par rapport à l’époque dans laquelle il vit ; c’est cela qui est intéressant d’ailleurs. Ainsi le lien de la mère à son enfant est éclairé par une compréhension psychologique et humaine profonde de ce lien terrible entre mère et fils qui va les entraîner dans la monstruosité, la dévastation et la mort. Il y a là une pièce dans la pièce.
Mais au sein même des relations de Richard aux femmes dont il s’entoure et qu’il rejette, relations mises en exergue par Verhelst, le lieu du politique n’est pas oublié. La manière qu’il a de rechercher à tout prix une pureté pour le moins paradoxale vient travailler ces relations de l’intérieur : chez Verhelst, Richard, débarrassé de toute difformité physique, semble presque désincarné ; pure psychè, il se refuse donc et se dérobe absolument au contact. Ce qui n’est pas sans conséquence, pour Lady Anne par exemple, qui en meurt sitôt que, l’ayant épousée, il est devenu roi. Le désir qu’éprouve Richard de prendre le pouvoir semble presque s’épuiser au moment même où il accède au trône, comme si rien ne soutenait cette quête d’absolu, aucun fondement idéologique ; juste un désir personnel – mais de quoi ? Peut-on vouloir le pouvoir pour le pouvoir, sans aucune autre détermination positive ? Il va très loin dans cette recherche, jusqu’à une destruction qui semble gratuite. Richard ne veut pas faire ou refaire l’histoire, il est dans la fulgurance du geste. Tout va très vite. Et personne n’est épargné sur ce chemin, pas même les femmes, aucune. Jusqu’à sa mère qui finit par le suivre dans la mort lors de cette étrange et magnifique pietà qui clôt la pièce… pourquoi ?

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