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Richard II

mise en scène Christophe Rauck

: Entretien avec Christophe Rauck

Propos recueillis par Marc Blanchet

Votre nouvelle mise en scène est née du désir du comédien Micha Lescot de vous retrouver sur un projet. Pourquoi Richard II ?


Christophe Rauck : Je ne parviens pas à penser une mise en scène sans y voir des acteurs précis. Ma complicité avec le dramaturge Rémi De Vos reposait déjà sur une écriture destinée à certains comédiens et comédiennes. Pour Départ volontaire, nous avions pensé à Micha Lescot. Il fait partie de ces grands acteurs qui conjuguent masculinité et féminité et les marient artistiquement. Comme j’avais le désir de poursuivre notre collaboration je lui ai demandé de me dire quel rôle il avait envie de jouer. Ce fut Richard II. J’ai éprouvé d’abord un moment de « suspension ». Richard II, c’était ce grand spectacle du Théâtre du Soleil en 1982, une période folle de créativité. Impossible de faire marche arrière ! La relecture de ce texte m’a convaincu de mettre en scène cette pièce si singulière de Shakespeare, éclipsée par Richard III, Henri VI ou d’autres tragédies.


Richard II, c’est la consécration d’Henri IV, un roi bien singulier. Comment aborder une œuvre qui ne se situe pas du côté de l’action, et s’inscrit toutefois dans de l’inéluctable ?


La puissance de cette pièce est que tout ce qui y est prédit se réalise. Monter Henri VI avec les jeunes élèves de l’École du Nord m’a permis de mieux appréhender Richard II. L’action nous renvoie souvent à la question de la temporalité. Lors de la scène du jugement, le spectateur espère d’abord un duel, puis une bataille avec épée. Ce qui est logique pour une pièce écrite au seizième siècle à partir d’une histoire qui se situe au quatorzième, mais Richard II est avant tout l’histoire d’une prédiction. Elle résonne avec le monde d’aujourd’hui, même s’il faut se méfier de toujours vouloir actualiser Shakespeare. Disons que certains éléments résonnent avec l’actualité. Par exemple comment en se détachant du peuple, une présidence peut se retrouver dans la confrontation avec la rue... Il existe une dimension symbolique de la parole. Richard II est l’histoire de ce roi qui n’écoute plus les autres et qui, face au jeune Henri Bolingbroke, aimé des gens, finit par être destitué. La pièce ne cesse d’être traversée par la relation entre le pouvoir et la parole, jusqu’à la transformation finale de Richard II, qui cesse d’être le roi d’un territoire, l’Angleterre, et n’est plus que le maître de ses mots.


Ce rapport au langage est omniprésent. Les personnages ne cessent de dire leur dépit, leur surprise, face à un roi qui ne les entend plus. Parleriez-vous de Richard II comme d’une pièce sur l’histoire d’un homme affaibli par l’exercice du pouvoir ?


Richard II est un roi en pleine maturité. Il a sur les épaules une lignée avec ses dérives, dont il ne parvient pas à s’extraire. C’est là tout le poids du premier acte. Il fait tuer Gloucester ; il est donc à l’origine d’une machination. Deux grandes scènes s’imposent dans cette œuvre fascinante : le retour de Richard II en Angleterre, puis sa destitution. Lors de cette seconde scène, il devient le roi de rien, un roi-bouffon (dans le sens où il dit autrement la vérité). La parole se libère ; il est celui qui tient encore le pouvoir par les mots, dans un axe vertical. Tant qu’il est en vie, Bolingbroke, futur roi, demeure empêché dans ses actions, incapable de prendre la bonne décision vis-à-vis de ce roi encombrant. C’est plutôt lui l’incarnation d’une certaine faiblesse.


Hors du sang et de la fureur, de l’exacerbation de Richard III par exemple, cette pièce de Shakespeare possède un vrai génie du décalage et invente son propre suspens...


Elle parle de l’inaudibilité du peuple par le pouvoir et son représentant, fût-il institué divinement. Elle joue aussi sur deux personnages principaux, l’un relié au ciel, Richard II, l’autre à la terre, Bolingbroke, le futur Henri IV. Quand Richard II quitte la terre d’Angleterre pour réprimer la révolte irlandaise, par une sorte de mouvement immédiat Bolingbroke revient d’exil, et remonte jusqu’à Londres. Une lignée s’est détachée de la terre, du peuple ; l’autre avance avec lui, de manière physique. J’ai écouté il y a peu une émission sur les cahiers de doléances proposés par le gouvernement. J’y ai entendu des propos d’une dimension toute shakespearienne : « Nous sommes votre sol, vous nous marchez dessus, nous vous supportons, mais attention à ne pas devenir trop lourds, nous nous soulèverions alors contre vous ». Toute la tension de Richard II est là, dans cet équilibre précaire, entre un peuple en attente de justice et un roi en capacité de représenter cette justice.


Cette dimension politique rappelle aussi que Richard II présente une impressionnante galerie de personnages, dont les aînés Gand et York s’efforcent d’être les garants d’un pouvoir sans complot ni violence...


Les grands auteurs sont ceux qui arrivent à contextualiser une complexité, à nous la raconter de manière intelligente et intelligible. Le défi d’une mise en scène est de pouvoir rejoindre cette clarté. York et Gand sont des personnages puissants et émouvants. Le premier se plie à la volonté du roi, éprouvant un pacte divin propre à sa lignée. Ce grand serviteur de l’État finit sur son lit de mort à dire au roi ce qu’il pense de lui. C’est une grande leçon sur le pouvoir. Il faut être méritant pour avoir un pareil conseiller. C’est-à-dire être capable de voir, d’entendre... York, lui, flanche. Tout aussi dévoué, il est confronté à une situation confuse et choisit de se rallier à Bolingbroke. Il n’en incarne pas moins l’autre versant d’une clairvoyance, suite aux actions irraisonnées et à la surdité de Richard II.


Ambition, surdité, séparation avec le peuple : en quoi l’exercice du pouvoir a-t-il pour vous d’autres similarités ?


Qu’est-ce que la terre ? C’est une des questions de Richard II. N’entendons-nous parler sans cesse de territoires, de frontières ? Une autre interrogation est celle de la notion de peuple. L’éloignement de Richard II en Irlande raconte ce détachement du peuple. Il en est le représentant sublime puisqu’il en est le roi ; il a donc cette verticalité propre à sa lignée. La critique du pouvoir par Shakespeare résonne parce qu’elle nous raconte combien le pouvoir se construit dans l’entre-soi et le calcul.


Le désir d’interroger l’exercice du pouvoir comme la vérité de la parole demande de relever les défis dramaturgiques propres à Richard II. Lesquels sont-ils ?


Ils sont nombreux. Plusieurs axes se rencontrent et se confrontent. La famille, les trahisons, les meurtres, les retournements viennent rythmer la pièce. Il y a le personnage de Gand qui prédit à Richard II son futur échec. Déjà pour rentrer dans l’intrigue Il faut veiller à rendre lisible le premier acte. Richard II raconte la fin d’une période et le début d’une autre où règne un sentiment de confusion propice aux renversements.


  • Propos recueillis par Marc Blanchet
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