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Retour à la citadelle

+ d'infos sur le texte de Jean-Luc Lagarce
mise en scène François Rancillac

: Le Théâtre de Jean-Luc Lagarce

par François Rancillac

Rares sont les auteurs de théâtre que l'on peut reconnaître en deux lignes à peine survolées. Encore plus rares sont ceux qui, avec ces deux seules lignes, vous ont déjà pris par la main et vous entraînent en souriant un peu à l'écart du bruit et de la fureur du monde, pour vous confier un secret... Jean-Luc Lagarce est de ceux-là.


Sa langue est apparemment pauvre, son vocabulaire restreint, son style sans effet aucun, plutôt laborieux même ; ses personnages sont souvent hésitants, bafouillant pour s'excuser d'avance d'avoir pris la parole, ouvrant souvent parenthèses sur parenthèses quitte à se perdre en route, et balançant longuement entre l'aphasie et la logorrhée pour conclure irrémédiablement qu' "au bout du compte", ce n'est pas du tout cela qu'ils voulaient dire. Alors, comment se fait-il que son théâtre, que tout menace d'ennui et de vacuité, soit si incroyable, si drôle, si terrible, si émouvant ? Si nécessaire ?


Petit-fils de Tchékhov et neveu de Kakfa, Lagarce est surtout un enfant des années 80-90, quand l'Occident renonce sournoisement aux "grands idéaux" au nom du "réalisme". Exit les "lendemains qui chantent", la révolution n'est plus à l'ordre du jour : les adolescents attardés sont priés de ravaler leurs rêves. Est-ce cela, une fin de siècle : le sentiment d'arriver trop tard, d'avoir d'avance loupé sa vie ?



Les personnages de Lagarce en tous cas sont souvent perdus, désorientés. Le monde a sûrement changé, mais sans eux. Ils se sentent à la traîne, loin, très loin de "là où ça se passe", à l'écart du centre du monde, à l'écart d'eux-mêmes... Ratés existentiels, et conscients de l'être, ils ont pourtant à leur actif les mille et une justifications qu'offre la mauvaise foi : c'est la faute à mon père, c'est la faute à la météo... Evidemment, plus ils se défendent, plus ils s'enfoncent ; plus ils s'enfoncent, plus ils se défendent : grandiose et dérisoire humanité !


"Ecriture du désastre", celle de Lagarce l'est au plus haut point, avec un humour au scalpel et une pudeur qui permettent de dire le pire avec lucidité, sans détour ni fioriture, mais aussi sans fiel ni complaisance cynique. Peut-être parce qu'il s'implique tellement dans son écriture, parce qu'il se reconnaît si bien chez ses personnages. Désastre du monde, désastre intime, c'est tout comme, c'est la même histoire, c'est la même maladie.


Jean-Luc a vécu avec le sida pendant des années, se battant pied à pied avec l'inéluctable, chaque pièce, chaque spectacle (c'était aussi un metteur en scène brillant) étant censé repousser l'échéance. C'est presque un pléonasme de dire que le théâtre de Lagarce est tout entier habité par la mort au travail, cette mort qui rend toute chose si vaine, si absurde. Mais aussi, à l'inverse : qui rend toute chose si nécessaire, si splendide.Jamais le théâtre, ce lieu étrange, cet entre-deux où se réincarnent les fantômes, où peuvent encore dialoguer les vivants et les morts, n'aura autant et si bien laissé parler la mort pour chanter la vie. Oh, pas un grand air de bravoure, non ; une simple chanson suffira, ou une rengaine un peu désuète, comme Jean-Luc les aimait tant.

François Rancillac

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