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Rearview

mise en scène Armel Roussel

: Extraits des notes préparatoires d'Armel Roussel (Août 2013)

Rearview… une expérience du langage.


La langue (à ne pas confondre avec l’écriture) dans le monologue Rearview joue entre l’anglais et le français du Québec non comme une « expression » naturelle mais comme une « construction » naturelle. Ce n’est pas du québécois mais une langue construire à partir d’une origine, celle venue de l’ouest canadien, d’un auteur issu d’une minorité francophone vivant au milieu des anglophones. Le langage est ici un reflet identitaire. (…) Je parle donc d’une expérience du langage car c’est un des vecteurs de la pièce. L’identité. La langue comme composante principale et essentielle de la construction identitaire.


Cela pose la question de la version que nous créons en Belgique. Comment faire passer cette non conformité du langage alors même que le franco-québècois ne nous est pas naturel et nous paraît si géo-localisé – peut-être à tort – si anglicisé, que pour le spectateur francophone européen, il n’y a à priori aucune différence entre la langue poulin-denissienne et le parler québécois classique ? C’est une des plus grande difficulté de notre entreprise : faire en sorte que soit perceptible pour le spectateur que le personnage parle une langue créée et non la langue que parle tous les québécois. (…)


Entendons-nous, c’est un des aspects qui m’a séduit dans Rearview : la langue, concrète, poétique, à la fois directe et mystérieuse. Comme si une nouvelle langue avait été inventée pour ce monologue et que cela est un cadeau qui permettrait de traduire avec de nouveaux mots des sentiments que l’on connaît mais qui ne trouvait plus de « miroirs » dans notre français classique tant nous les avons utilisés.


De nouveaux mots, de nouvelles expressions, un nouveau langage pour re-nommer des sentiments connus, intemporels, universels.


L’acteur comme porteur du verbe… entre incarnation et récit, il devient maître de cérémonie.


Rearview sera un travail sur la tonicité du langage, un parler clair, articulé, un rapport explosif au langage. Et donc le verbe devant. Le verbe devant tout et au centre de tout. Le verbe devant le personnage et au centre de la scène. Et donc l'acteur avant tout comme porteur du verbe.


Cela signifie d'emblée une approche non psychologique du texte et du rôle mais une approche où le personnage est défini par la manière dont il s'exprime et ce qu’il exprime : tant dans le contenu (le récit) que dans le contenant (la langue). Cela ne veut pas dire que c'est un « récité » car il y aura des états de jeu assez hauts, des variations, des ruptures, des niveaux... mais cela veut dire que l'essentiel du travail se pose sur la langue et l'interprétation du récit et non sur la construction d'un personnage. (…)


Comme une « livraison vécue », les situations se revivent au présent à fur et à mesure de leur énonciation. C'est du théâtre au présent puisque tout est vécu en direct et dans l'instant même où cela est dit. C'est ici et maintenant. Dans cet ordre d'idée, l'adresse peut se faire directement aux spectateurs comme Romain peut s'évader en lui-même, voire faire le choix de s'isoler. Le tout est d'utiliser tous les moyens adéquats et nécessaires à faire exister chaque instant du récit dans sa plénitude, sa complexité et son efficacité. Romain est le porteur vivant d'une expérience physique et initiatique qu'il fait vivre aux spectateurs. Si le texte est le personnage principal, Romain est lui, le maître de la scène, le master of ceremony, en quelque sorte l'auteur de l'instant que nous vivons.


Le dispositif mettra Romain à un endroit entre « incarnation » dans la manière d'aborder le texte et « récit » dans la visualisation qu'on a de son corps en scène, le tout nous permettant, je l'espère, à la fois de nous laisser embarquer par l'histoire, le texte, les sentiments, les émotions et d'épouser ce maître de cérémonie.


Images concrètes… images mentales. Espace, temps et symboles.


Rearview est un road trip qui part de Ville Mont-Royal jusqu'aux environs de Sudbury (…) la nuit du 20 au 21 juin (option choisie en l’absence d’indications à ce propos), dernier jour du printemps, symbole du renouveau, et 1er jour de l'été.


C’est l’histoire d’un déplacement, d’une échappée dans un noman’s land. Celle-ci avance selon une série d’espaces confinés de petite taille – à l’exception d’un seul tableau (7) qui se déroule en extérieur (…). Gilles Poulin-Denis en construit des images extrêmement concrètes, totalement imbriquées au récit. Mais ces images sont autant des images mentales, porteuses de sens, sous-sens, et sont beaucoup plus complexes que ce qu'elles paraissent au départ. Une des principales difficultés (avec la langue) tient donc dans le témoin scénique de cette complexité: sans sur-ligner le sens, être concret, laisser ouvert et faire exister les différentes strates, les circonvolutions, ne pas expliciter le symbolisme mais le faire exister.


Un de mes premiers reflexes en lisant Rearview avait été de le rapprocher de l'univers de David Lynch, voire de certains aspects de Cronenberg. Aujourd'hui, je ne le vois plus comme ça mais cependant quelque chose subsiste pour moi de ces deux réalisateurs : c'est du cinéma psychanalytique qui fait toujours co-exister plusieurs sens qui dépassent la simple histoire, la simple narration.


Au delà des symboles évidents comme la route, le labyrinthe de Ville Mont-Royal, la ville que l'on fuit (fuir la communauté, chercher son chemin dans la ville, chercher son identité au sein du groupe) pour des espace désertiques (se dépouiller soi pour affronter ses démons et chercher un nouveau départ...), certains mènent sur des pistes intéressantes en terme de jeu et de mise en scène : le miroir arraché car le miroir est bien sûr là où on se reflète mais aussi là où on se reflète en image inversée, le fait de l’arracher est une façon d'anéantir une partie de soi, anéantir un ancien soi ; le policier, qui apparaît comme un « fantôme », autorité masculine et paternelle, il est présenté comme à peine plus vieux que Guy avec une moustache d'adolescent, mais de taille imposante et puissante (fridge) avec une voix très aigüe, il est un mélange d'autorité, de menace, d'irréalité et de ridicule ; le marais-marécage, lieu de stagnation qui tend à devenir rivière, flot des énergies qui coulent en nous, vivifiantes, flots de la jeunesse tumultueuse et inconsciente qui précède l’âge adulte…


De tableau en tableau un rubick’s Cube se construit…


Rearview est un road trip dans un noman’s land qui chemine à travers une série d’espaces confinés (…). Tous ces lieux clos appartiennent à la fable, comme s’ils étaient autant de pièces, de cases, à l’intérieur de Guy.


Quelqu’un y réussit une mutation en tuant ce qui est nécessaire à sa survie et son propre développement (au sens psychanalytique, comme on tue sa mère et son père). (…) Guy est en quelque sorte « unifié » ou « construit » (…) comme s’il était passé du stade adolescent (le petit cul de 17 ans) à l’âge adulte (27 ans) et qu’il avait survécu à ce passage. (…)


Un univers se construit, celui de Guy, celui qui le déborde. Son espace scénique sera dans un même temps identifiable et ouvert, quelque chose qui raconte à la fois l'immensité, l'infini mais aussi qui laisse ouvert à l'interprétation. Un espace unique mais qui puisse être aussi transformable et transformé à fur et à mesure de l'avancée de la pièce.


La lumière sera essentielle. Sans être illustrative, elle sera travaillée dans les clairs obscurs, lumières rasantes, ponctuelles, jouant sur l'infini... tout en y ajoutant des lumières spécifiques à chaque moments/tableaux. De même pour un univers sonore, qui, je pense, est le 2ème acteur de ce spectacle.

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