Nous voulions faire un spectacle où chacun se sente intimement concerné. Il s'agissait de lever le voile sur cette pudeur que nous avons à dire les choses.

Nous sommes dans une société où règne le paraître. Lorsque l'on vous demande si « ça va ? », par pudeur, politesse, éducation, on répond toujours ou presque, que « oui ». On dit que la communication est la clef dans un couple. Elle est la clef de tout. Malheureusement, par ce manque d'échanges simples, nous arrivons parfois à des situations extrêmes, à des incompréhensions, à l'isolement, au rejet de l'autre, à la haine.

« Parler répare », Albert Camus

Ramenta, c’est aussi l'histoire de ces deux personnages qui ne se sont jamais vraiment dit les choses. Pour aller de l'avant et guérir de son histoire, Diane parle enfin à Bill. Sa colère s'apaise. Et Diane grandit.

L’amour comme résistance

L'amour est une des préoccupations majeures de l'être humain, si ce n'est la première. Parce que parler d'amour, c'est aussi parler de notre place au sein de ce monde, de notre tissu social, de l'image que l'on a de soi, de la représentation que les autres ont de nous. Parler de ce sentiment nous rend tour à tour passionné, mielleux, enragé, engagé, courageux, libre, inconscient, et tant de choses encore.

C'est aussi ce qui nous rattache tous à notre Humanité / Animalité. Le coeur qui palpite, la gorge sèche, le désir qui se diffuse dans le ventre, les mains moites... L'insouciance, le bonheur, la passion, le désespoir, l'effondrement, la violence.

À travers cette histoire, c'est aussi celle de ce qui nous rend profondément humain qui se raconte.

« Ramenta », une fable onirique

La pièce nous plonge dans l'onirisme des pensées de Diane, une jeune femme tourmentée par le souvenir de Bill, un homme qu'elle a passionnément aimé. Bill est parti du jour au lendemain sans lui donner plus d'explications. Mais son souvenir vient la hanter. Elle va donc décider de tout mettre en place afin de littéralement l'enterrer.

Ici, il s'agit d'une rupture amoureuse. Mais cette rupture peut aussi être amicale ou familiale. Il s’agit en tout cas de la perte d'un être cher, imposée par un choix, une situation. Je me souviens m'être dit une fois qu'il est difficile de perdre quelqu'un qui est en vie. Savoir que l’autre évolue sans nous dans la vie, et nous sans lui, fait l’effet d’une fracture douloureuse.

C'est ce qui se passe pour Diane. Elle continue de vivre mais l'image de cet homme est un frein à son épanouissement. Quelque chose ne s'étant jamais vraiment fini avec lui, elle n'arrive pas à être au présent. Pour y parvenir, elle va se laisser emporter par le pouvoir de son imagination.

L'univers de Ramenta

Tout commence par une fête entre amis. Bill fait une apparition. Diane est la seule à le voir.

Les autres comédiens interprètent à tour de rôle les personnages qui peuplent le monde de la jeune femme : des scientifiques fous venus nous expliquer ce qui se passent physiologiquement lorsque nous vivons une rupture, phénomène hormonal comparable au sevrage d'une drogue dure ; des médecins pratiquant sur elle une intervention chirurgicale et musicale pour réparer son coeur brisé ; une lapine et un travesti habitant les limbes de sa mémoire ; des animateurs déjantés se proposant de laver votre mémoire aux îles Galapagos...

Un autre personnage qu'est celui du psychanalyste de Diane est quant à lui à la frontière entre le réel et ses pensées.

Les amis de Diane interviennent également au cours du récit sous forme d'interview. Dans un face public, ils nous livrent leur vision de l'amour et viennent enrichir celle proposée dans la trame principale.

Un théâtre joyeux et pluridisciplinaire

Dans « Ramenta », il y a une grande place faite à l'humour. Nous défendons un théâtre festif permettant admirablement de parler de sujets graves ou douloureux sous un prisme joyeux. C'est comme cela que nous abordons le plateau.

Au plateau, sept comédiens dont une chanteuse/guitariste prennent part à l'histoire. Ramenta est une pièce pluridisciplinaire dans laquelle texte, musique et expression du corps puissent se fondre en parfaite harmonie avec beaucoup de comédiens au plateau. J'aime les spectacles où il y a beaucoup de monde sur scène, comme les pièces de Jean Bellorini ou de Pina Bausch. Il y a quelque chose de très émouvant à voit autant de personnes rassemblées sur scène.

Travailler le texte autant que le corps

Certaines scènes sont uniquement corporelles, notamment la rencontre de Diane et Bill. C'est là que l'on se rend compte que l'on peut parfois très bien se passer du langage, le corps nous offrant toute une grammaire directe, franche, délicate et sensible.

Pour la musique, C'est une chanteuse et guitariste qui a composé et interprète en partie les musiques du spectacle. Elle occupe une place toute particulière, en lisière de la scène. Sa musique soutient de façon narrative ce que traverse Diane. Les autres comédiens deviennent aussi parfois chanteurs. Je n'envisage pas un théâtre sans musique. Les deux sont à mes yeux intimement liés.

Sarah Mordy