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Quand j'avais cinq ans je m'ai tué


: Note d’intention

Du roman à la pièce de théâtre, une adaptation qui s’écrit à plusieurs mains
Howard Buten place son histoire à la fin des années cinquante. À Détroit. Dans le Michigan. Aux États-Unis. Mais peu m’importe. La force de ce roman est sa plongée dans le monde de l’enfance, ses non-dits et sa pudeur. Un regard de l’adulte sur l’enfant ? Un regard de l’enfant vers l’adulte ? Des regards qui ne se croisent pas, ne se rencontrent pas. Et c’est ce qui m’intéresse. Ce que génère cette non-rencontre.


Une histoire écrite sur le mur par la main de l’enfant
Gilbert est ici. Loin de ses parents, de ses amis. De sa vie d’avant. Dans de nouveaux repères. Qu’il doit intérioriser et apprendre. Il doit revenir sur son histoire, sur ce qui s’est passé, et parler au Docteur Névélé. Son thérapeute. Celui qui doit réparer ses maux grâce aux mots que Gilbert lui dira. Mais Gilbert ne veut pas lui parler. À lui. Parce qu’il est docteur, qu’il a des poils de son nez, un vrai paillasson et qu’il ne comprend pas les enfants.


Alors Gilbert décide d’écrire son histoire sur les murs de la salle de repos. Entre les murs de cette institution et sur les murs de cette institution nous sommes dans la tête de Gilbert. Ce qu’il vit au présent à travers les personnes qu’il rencontre dans l’institution (Rudyard, Mme Cochrane, le Docteur Névélé et les autres enfants de la résidence), les évènements qu’il a vécu dans sa vie « d’avant » et qu’il écrit sur les murs, (Jessica, sa maîtresse, ses parents, ses amis, son frère). Dans un va-et-vient entre passé et présent, il nous fait rentrer dans sa façon de voir le monde.


L’idée n’est pas d’analyser et de connaître exactement les faits, mais de mieux comprendre Gilbert, le monde de l’enfance et la façon dont celui-ci bute sur le monde des adultes.


Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué. J’attendais Popeye qui passe après le journal. Il a les poignets plus gros que les gens, et y gagne toujours au finish. Mais le journal voulait pas s’arrêter. Un monsieur du journal est venu. Il avait quelque chose dans sa main. Une poupée. Il la levé en l’air et moi j’ai enlevé mes mains : “Ce que je vous montre là, c’était le jouet préféré d’une petite fille. Mais aujourd’hui, à cause d’un accident stupide cette petite fille est morte.”
Je suis monté dans ma chambre en courant. J’ai sauté sur mon lit et je m’ai enfoncé la tête dans mon oreiller. Je l’ai appuyé très fort jusqu’à temps que je n’entende plus rien. J’ai arrêté de respirer. Mon papa est venu. Il a enlevé l’oreiller, et il a mis sa main sur moi. Il est très fort. Il m’a soulevé. Il m’a parlé très doucement. Gilbert, des gens meurent tous les jours. Personne ne sait pourquoi. On n’y peut rien. C’est comme ça. Ce sont les règles. Il est redescendu. Je suis resté longtemps assis sur mon lit. Je sentais quelque chose de cassé à l’intérieur, je sentais ça dans mon ventre et je savais pas quoi faire. J’ai tendu le doigt avec lequel faut pas montrer. Je l’ai appuyé contre ma tête et avec le pouce j’ai fait PAN.


Un espace clos pour plonger à l’intérieur de Gilbert
Gilbert est enfermé comme pris au piège. Il se sent en prison.


Pour plonger dans l’histoire de Gilbert Rembrandt et ne pas voir les faits de loin, comme « un fait divers », je voulais plonger spectateurs et artistes dans un espace clos. Sans échappatoire possible. Un endroit où personne ne peut complètement s’installer, s’avachir dans un fauteuil, regarder juste devant soi ou jouer avec un quatrième mur.


J’ai opté pour un espace bi-frontal. Deux gradins qui se font face avec une assise en bois sans dossier.


Un dispositif qui doit permettre à tous une prise de conscience, où les spectateurs peuvent se reconnaitre dans ceux d’en face. Ici, ils sont maîtres de ce qu’ils regardent et de ce qu’ils veulent voir, car tous, comédiens, musicien, éclairagiste et public, sont englobés dans le même espace de jeu. L’espace scénique est partout, aussi bien entre les gradins que derrière ou à côté d’eux. Le comédien doit nécessairement être dans cette proximité avec le public et doit impérativement lui adresser tout ce qui lui revient : l’histoire de Gilbert, son récit.


Au centre entre les deux gradins est placé un tapis de danse blanc comme un grand couloir. Des fenêtres translucides et éclairées derrière chaque gradin servent de support à l’écriture et aux dessins de Gilbert. Un espace fermé, représentation d’un autre espace fermé, la « Maison d’Enfants les Pâquerettes » qui devient chambre noire d’une révélation.


L’intérieur de Gilbert, un enfant en construction
Gilbert a fait quelque chose d’insupportable pour les adultes. Ils l’ont d’ailleurs placé là pour qu’il devienne à nouveau un bon petit citoyen (Gilbert cherche à comprendre, pas à pas, ce qu’il fait là, et nous (artistes et spectateurs) cherchons avec lui au fil de la représentation. Il est question de ce qu’il faut faire ou pas, de ce qu’il faut dire ou pas. De grandir. Quoiqu’il arrive grandir. Et de se débrouiller, seul, face à l’amour, la découverte, l’inconnu, le manque et la colère.


Pour moi, reconstruire théâtralement les logiques du roman a été de trouver avec les comédiens comment se mettre au service du texte et de l’enfance de Gilbert. Une enfance complexe et divisée peut-être comme toutes les enfances d’ailleurs. Mais l’adulte efface, occulte et oublie parfois les étapes qu’il faut surmonter pour grandir.


Ce texte est une parole unique comme autant de joutes verbales, d’échanges et de dialogues épistolaires. Il m’a ouvert la voie du collectif. D’une parole portée par tous : un groupe d’artistes qui se met au service de cette enfance unique. Une enfance assumée, exprimée qui se débat au milieu des autres. Étrangers. À chaque étape la voix de Gilbert doit être entendue et son chemin tracé verticalement.


La parole est tantôt portée par chaque comédien, tantôt par tous, travail collectif d’une balle qui ne tombe jamais par terre ou d’un relais passé sans faille. Les cinq comédiens et comédiennes sont Gilbert ensemble ou successivement, ainsi que tous les autres personnages de cette histoire. Cette parole les rassemble et les oppose, elle suggère un personnage chez l’un, un groupe chez les autres. Rien n’est figé ni défini à l’avance. C’est une dynamique qui s’incarne à mesure qu’elle s’invente. Une énergie servie par un groupe toujours disponible, générée aussi par une musique, des sons et des chansons interprétées et jouées en direct à la guitare électrique et au clavier. Ces boucles sonores et musicales viennent résonner en écho à l’état de Gil, à son évolution, et accompagnent la temporalité du souvenir, du récit et de l’action.


L’urgence de la communication
Au coeur de cette création, il y a la question prégnante de la communication. Entre enfant et adulte. Des enfants entre eux et des adultes entre eux. Il y a le récit que Gilbert écrit sur le mur, les paroles en direct, les mots échangés dans le passé, les échanges épistolaires entre les deux médecins, Rudyard et le Docteur Névélé, la lettre de la mère de Gilbert, et ce qui clos le roman et la pièce, la lettre que Jessica écrit à Gilbert et celle que Gilbert écrit en retour à Jessica.


Comment communiquer ?
Cette question est prise en charge physiquement, formellement et intentionnellement dans nos partis-pris artistiques. Nous travaillons profondément sur les résurgences de notre enfance passée. Parce que sur nous tous, adultes comme enfants, pèse le poids d’être seul au monde. Seul dans son monde. Parce que la vie se construit avec soi et les autres. Et ce sont les autres qui donnent sens à notre moi.


Nous nous plaçons donc dans l’urgence de la situation de Gilbert : la nécessité de communiquer.


Parce que nous (les êtres humains, adultes et enfants confondus), nous sommes tous mus par des émotions fortes, trop fortes parfois, qui nous dépassent, qui nous surprennent. Comme Gilbert en pleine nuit, après un cauchemar, face à la chambre noire et silencieuse de ses parents qui demande : « Il n’y a personne là dedans ? »

Cécile Fraisse-Bareille

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