: À Propos de Henri Michaux
Rencontre de Jacques Prévert
L’été dernier – ou l’autre – au coin du pont de l’Archevêché et du quai de Montebello,
je rencontrai Henri Michaux.
Il était seul, il souriait et paraissait étonnamment jeune « pour son âge », et de la tête
aux pieds. Il avait l’air émerveillé et je craignais d’être indiscret.
Soudain, il m’aperçut, me dit bonjour, souriant toujours, mais d’un tout autre sourire.
Seulement, et simplement, l’heureux sourire d’une vieille et lucide amitié.
Il faisait beau et comme le Charpentier et le Morse de Lewis Caroll assis sur un rocher
parlaient de souliers, de bateaux, de balais, de rois, de sable et de cire à cacheter,
nous promenant devant les boîtes du quai, nous parlions, tout pareil, de choses et
êtres et d’êtres-choses.
Et de soleils et de gouffres, et de drogues d’avant-guerres, de vieux marchands de
coco, de peinture,
de massacres, de machines infernales et de machins divins et d’hôtesses du vide, de
records nucléaires, et d’amis très anciens.
Mais ni des femmes, ni de l’amour.
Pourtant, quelques instants auparavant, c’était peut-être l’amour qui souriait sur les
lèvres de Michaux.
L’amour secret.
Dans ses livres, il se cache éperdument, mais souvent, à qui aime et sait lire, il saute
aux yeux, silencieusement.
Il faisait chaud, l’envie nous vint de boire un verre.
Notre-Dame était de l’autre côté du fleuve, Michaux fit un geste, et M. Plume, qui
nous suivait discrètement mais pas à pas, claqua des doigts.
Un maître d’hôtel ailé et empressé sur des soucoupes volantes nous servit la
consommation des siècles.
Et nous bûmes à notre santé.
in Henri Michaux, éd. de L’Herne, Les Cahiers de l’Herne, 1966.
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