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Philoctète & Ravachol

mise en scène Patrick Zuzalla
Création à partir des textes Philoctète de Cédric Demangeot, Ravachol de Cédric Demangeot,

: Notes de mise en scène

Ravachol, anarchiste français mort guillotiné à 33 ans en 1892, controversé dans le milieu anarchiste parce qu’auteur de crimes de droit commun (qu’il ne reconnut pas tous), rendu célèbre par son action militante et sa déclaration politique au procès de Montbrison, interrompue par les juges (et publiée dans La Révolte et Le Père peinard). C’est l’exigeant travail de l’historien du mouvement ouvrier Jean Maitron qui contribuera à faire renaître la légende grâce au livre Ravachol et les anarchistes.
Voici qu’aujourd’hui un jeune poète décide de dresser le portrait — même morcelé, incomplet — de ce personnage historique que l’histoire officielle se garde de comptabiliser, ou bien dans cette catégorie volontairement opaque de « terroriste ». La poésie pourrait se tenir à l’écart de l’histoire, elle le fait souvent, et Cédric Demangeot poursuivre son œuvre imperturbablement, mais non, le poète renoue étroitement le souffle épique et l’impulsion lyrique. Poussé par l’affaire Brice Petit, en 2004, où un poète fut poursuivi en justice pour s’être opposé à une intervention policière violente et plus généralement par l’état de notre société où l’ordre établi assoit son fonctionnement sur la peur, la haine et la violence. Cette fin du XIXe siècle dialogue avec nous, le temps où des anonymes, qui se nommaient « ouvriers » ou « peuple », pouvaient se dresser pour s’opposer à la brutalité de l’État et de la puissance financière n’est pas immémorial.
Œuvre en deux mouvements, un récit biographique porté par un je, puis une enquête lyrique sur ce même personnage dont le nom a perdu la majuscule. L’Histoire du monde ouvrier d’après la Commune et l’histoire intérieure béante d’un homme d’après la poésie de Rimbaud. Portrait d’un héros négatif, qui étaye son combat du ratage perpétuel. Reste la persistance de la révolte. Et portrait du poète en négatif.
Le spectacle qui montrera ce poème dans son intégralité sera court. C’est cette merveille aussi que nous jouerons, une grande œuvre courte qui porte en peu de pages tout un monde, et tout un homme en ébullition. D’autant qu’à ce poème sera accolée une deuxième œuvre, encore plus courte et tout aussi totalisante. Un acteur qui porte à son incandescence ravachol, chute et se relève pour traîner le corps purulent de Philoctète. Les deux poèmes qui se succèdent et offrent l'histoire et le mythe en vis-à-vis, racontant également comment un acteur construit modestement son œuvre. Une poétique de la juxtaposition, assumée.
J’avais depuis longtemps le désir de mettre en scène Philoctète dans la version de Sophocle, c’est le poème récent de Demangeot qui me ramène au personnage mythologique. Version plus furieuse, où ce Timon involontaire, abandonné par ses camarades parce que blessé au pied, dit sa haine des Grecs et rêve le retour d’Ulysse en parlant à la mer — nous autres spectateurs —, retour qui lui permettra assurément de se venger du héros rusé. L’homme reste seul sur son île, évoquant un personnage beckettien (Malone est d’ailleurs convoqué par ravachol). Je lisais la tragédie de Sophocle comme une métaphore de la chute du communisme, avec ce personnage de militant que l’on abandonne parce ce que la cause et l’idéologie sont dépassées et embarrassantes, et avec qui finalement les nouveaux combattants renouent pour poursuivre la lutte. Le monologue poétique de Demangeot est au-delà de l’enjeu de la transmission, il confronte deux formes de nihilisme, celui d’un monde occidental dont l’ordonnancement repose sur une inquiétante combinaison entre réalisme (il faut accepter le monde comme il est) et factice (les jeux de l’image et de l’apparence dans la société du spectacle), et celui de l’exclu à la colère incarnée — il est beaucoup question de corps dans les deux poèmes. C’est la rage du désespéré qui s’exprime chez Philoctète, avec la tentation d’un nihilisme destructeur. Le poète, par le biais de son personnage, prend en charge cette parole qui sonne comme une mise en garde à l’égard d’une grande civilisation qui semble se perdre. Le personnage mythologique paraît plus près de nous que le personnage historique, nous semblons plus proches du mythe et de sa force de reconstruction poétique que de l’histoire pétrifiée depuis l’échec des politiques révolutionnaires. C’est ce que le mythe renferme de forces de vie — de pensée — qui peut nous renouer à l’histoire en tant que politique de libération. Deux personnages qui exposent leur solitude à une enquête intransigeante sur la condition humaine.

Patrick Zuzalla

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