C’est un théâtre des catacombes. Un théâtre de la clandestinité. Une cérémonie secrète sans cérémonial, sans rituel autre que le théâtre même. Vous pourrez nous enfermer dans une cave. Nous donner pour tout décor un méchant mur de briques rouges. Nous y ferons du théâtre. Nous ferons du théâtre malgré tout parce que c’est notre vie. Et ce théâtre que nous y ferons sera foyer de vie.
Le spectacle de Jacques Kraemer ne se contente pas de nous le raconter, au travers de trois histoires entrelacées : celle de jeunes comédiens apprenant la vérité de leur art sous la conduite de leur maître, Louis Jouvet, au Conservatoire de Paris, en 1940, avant l’exil ; celle — extrême — de Charlotte Delbo, déportée à Auschwitz, y réinventant, avec d’autres prisonnières, le théâtre ; celle d’un cinéaste de génie, Max Ophuls, rêvant un film sur le théâtre que, faute de moyens, il ne tournera pas. Le spectacle ne nous le raconte pas, il nous en fait partager l’expérience. Car si le film ne se fit pas, le théâtre, lui, se fera, et sera le lieu d’évocation de ce qui n’est plus et pourtant sera, de convocation des fantômes incarnés au présent par des êtres de chair, qui mettront leurs pas dans les pas des morts, les lèvres dans leurs lèvres. Donnez-nous le plus petit théâtre du monde, quelques mètres de tissu noir, trois projecteurs, un méchant mur de briques rouges — et la maîtrise de notre art…

Joseph Danan