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Papa doit manger

+ d'infos sur le texte de Marie NDiaye
mise en scène André Engel

: Propos du metteur en scène

Pour résumer ce qui dans cette pièce, a éveillé notre curiosité, notre intérêt certes, mais avant tout notre curiosité, nous devons parler à la fois du fond et de la forme.
Papa doit manger est, à l’origine, une pièce radiophonique mais elle aurait tout aussi bien pu être la mise en dialogues d’une nouvelle, racontant un épisode particulier de la vie d’une famille française et s’étendant sur plus de vingt ans. Marie NDiaye n’écrit pas spécifiquement pour la scène. Elle offre ses matériaux aux formes qui veulent bien les accueillir. De là vient peut-être la façon qu’elle a de développer ses personnages et de conduire son récit par à-coups, rebondissements et ruptures, réclamant de notre part un théâtre elliptique, désinvolte, fragmentaire.
De plus, tous les personnages parlent une même langue : le NDiaye, exactement comme dans Woyzeck où tous les personnages disent du Büchner. Ce qui fait que, quelle que soit la quotidienneté ou la trivialité des situations, la langue les dénaturalise et on ne sait plus très bien qui parle, le personnage, l’acteur, l’auteur, un certain état du monde ? Un monde dont la réalité semble parfois laisser planer comme d’impalpables bouffées d’étrangeté.
Au cœur de la pièce, de la fable, qu’il soit présent ou absent : Papa. Papa qui doit manger. Mais tout le monde doit manger et dans les familles, c’est plutôt les enfants qui doivent manger, et, en cas de besoin, c’est plutôt aux parents de s’ôter le pain de la bouche pour les nourrir. Mais ici, c’est Papa qui doit manger. Et il ne mangera que s’il est Papa. Mais comme il le dit lui-même, qui est Papa ? Un homme aux yeux sombres et à la peau d’un noir « insurpassable », un homme qui a abandonné sa femme et ses filles, dix ans auparavant et qui revient sans implorer, sans s’excuser et qui se montrerait exigeant.
De son personnage Marie NDiaye dit qu’il est cynique, effronté, menteur, ni fait, ni à faire. Quelqu’un qui nous rappelle des personnages familiers : ceux du théâtre de Horvath ; ces hommes un peu gigolos, un peu menteurs, un peu mythomanes qui, en temps de crise, n’ont rien à vendre qu’eux-mêmes. Sur un point cependant, Papa se distingue nettement des héros horvathiens, c’est quand Marie NDiaye dit de lui qu’il n’a jamais rien réussi, mais que cependant, ce n’est pas un raté.
Et puis, Papa est un Noir, un Africain déraciné, ce qui donne au texte une résonance plus pathétique, plus tragique. Mais dans l’ensemble, le spectacle pourrait trouver ce ton sarcastique et cruel des comédies de Horvath.
Un dernier mot sur la couleur de la peau de Papa. Cette peau noire qui obsède toute la famille de maman, grand-mère, grand-père, les tantes, Zelner. Cette peau qui est entrée dans la famille dix ans auparavant et qui a provoqué la honte, la catastrophe et le désastre.
A la fin de la pièce, cet homme, ce noir, cet Africain, incorrigible, irréformable, est abandonné par sa femme et renié par sa fille. Car désormais, il est trop lourd, encombrant et inutile. Devons-nous y voir une allégorie du rapport qu’avec le temps, certains d’entre nous ont été amenés à entretenir avec ce qu’ils appelaient autrefois « le jeune continent africain ? ».


André Engel, Dominique Muller, Jean Liermier janvier 2003

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