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: Entretien avec Sophie Perez et Xavier Boussiron

Propos recueillis par Jean-François Perrier

Votre travail est souvent considéré comme inclassable : entre théâtre, performance et installation, il y a comme une incertitude. Pensez-vous que le terme d’« essai » pourrait mieux le définir ?


Xavier Boussiron : S’il est compris dans le même sens que les Essais de Montaigne, je suis d’accord. C’est une sorte de réflexion qui permet de repousser les murs, une sorte de grand flux impur qui ne s’arrête plus. Toutes nos pièces sont comme les morceaux d’un gigantesque feuilleton, entre l’essai et la continuité du feuilleton.


Sophie Perez : Personnellement, je dis toujours que nos propositions sont des « objets de théâtre », mais j’aime bien l’idée de l’essai.


Comment parleriez-vous de votre univers théâtral ?


S. P. : Quand j’étais petite, ma mère m’emmenait voir les spectacles de la comédienne et humoriste Zouc et ma grand-mère des opérettes. Je suis issue d’une famille d’anarchistes andalous. Je suis toujours en colère. Mon univers est donc un mélange de toutes ces cultures et de ce que j’ai personnellement acquis au moment de mes études d’arts plastiques et de scénographie. J’ai eu la chance d’avoir le Prix de Rome en scénographie et de séjourner un an à la Villa Médicis, où je me suis mise à écrire et où j’ai débordé du cadre initial de ma formation. Mon univers s’est aussi transformé avec l’arrivée dans la compagnie de Xavier Boussiron, qui a d’abord composé la musique des spectacles et qui est maintenant co-auteur avec moi. C’est grâce à lui que j’ai pu faire des rencontres artistiques qui ont modifié mon regard sur les arts plastiques. Les acteurs ont également apporté leur univers personnel qui s’est intégré dans nos projets. Notre théâtre est parodique parce que nous aimons critiquer, parfois piétiner, ce qui nous inspire, mais aussi parce que notre relation au théâtre est à la fois pleine d’amour et de haine. Gombrowicz disait que derrière la parodie se cachait la tragédie… Ce qui nous caractérise, c’est que nous n’avons pas d’échelle de valeurs : nous aimons autant Carmelo Bene que Francis Picabia, Jean Yanne que Vittorio Gassman, avec un penchant pour les ogres qui dévorent tout pour pouvoir ensuite beaucoup offrir. Notre théâtre n’est pas fait pour digérer tranquillement.


X. B. : La parodie commence à partir du moment où l’on se dit : « Voilà une oeuvre intéressante mais je ne suis pas d’accord avec elle. » La moquerie et le dynamitage font partie de la réflexion, guidée par un instinct d’interprétation des choses qui font l’art.


Le cinéma vous inspire visiblement beaucoup…


S. P. : Avant tout, Fellini. Mais aussi David Lynch, Jacques Rozier, Quentin Tarantino…


X. B. : J’ai également une grande admiration pour José Benazeraf, qui arrivait à placer des citations du philosophe romain Plotin dans la bouche de gangsters minables ou dans celles de filles qui attendaient entre deux strip-teases.


S. P. : Il y a aussi Pandora d’Albert Lewin qui se rapproche de la peinture, ou encore Fassbinder qui était capable de changer d’esthétique à chacun de ses films, Dario Argento, Sergio Leone…


Vous allez présenter au Festival d’Avignon votre treizième « objet de théâtre ». Avez-vous le sentiment de continuer à creuser une forme identique ou d’innover avec des formes nouvelles ?


S. P. : Je crois que nous travaillons toujours sur le même sujet. Nous le malaxons, nous le piétinons, nous le modelons, nous le désossons, différemment à chaque fois, mais nous mettons toujours la même hargne à le travailler. C’est toujours la même question qui est au coeur de nos propositions : pourquoi attendons-nous toujours le miracle au théâtre ? Je crois que le théâtre est le lieu privilégié pour tenter de produire de l’art. C’est la raison pour laquelle nous continuons de nous atteler à nos projets. On peut citer Fellini qui disait que le plateau de cinéma était « une grosse boîte à remplir ». Nous croyons que le théâtre est l’endroit où l’on peut également remplir une boîte avec des gens venus d’horizon divers. Xavier Boussiron vient de l’art contemporain, les acteurs de notre compagnie ont eu des parcours très divers, classiques pour les uns, passant par le cabaret ou la chanson pour les autres. C’est le spectacle vivant qui nous réunit aujourd’hui, un spectacle vivant où se mêlent la musique, les arts plastiques, le cabaret et bien sûr le théâtre.


Vous dites toujours qu’il y a deux écritures, l’écriture littéraire et l’écriture de la scène qui doivent se compléter. En quoi consiste pour vous l’écriture de la scène ?


S. P. : C’est tout ce qui ne concerne pas le texte : la musique composée par Xavier, les lumières, le corps des acteurs, les décors. Cette écriture est très précise, même si nous laissons toujours croire qu’il y a une part d’improvisation sur le plateau. Les temps de musique, les temps de silence, les temps de jeu sont entièrement prévus et organisés entre eux. Nous essayons d’utiliser tous les outils techniques que propose le théâtre pour réaliser nos projets. Pour cette écriture scénique, nous nous imposons parfois des contraintes. Ainsi pour notre précédente création, Deux masques et la plume, il était prévu que le décor ne dépasse pas 20m3. Les contraintes obligent à trouver des solutions et rendent parfois pragmatique.


X. B. : Écrire pour la scène, c’est aussi savoir aborder le travail sans a priori. Dans la pratique, nous avons toujours un protocole de création qui repose sur l’improvisation. Nous nous laissons toutes les possibilités d’être surpris. Nous arrivons en répétitions avec des idées précises, mais sans les imposer aux acteurs. Le texte n’est jamais chez nous un mode d’emploi ou la clé du sens à venir : il est un des éléments avec lesquels nous trouvons tous ensemble.


Comment choisissez-vous le thème de vos projets ?


S. P. : C’est très précis. Chaque spectacle porte en lui le prochain. En répétant un spectacle, il y a toujours un moment où l’on s’aperçoit qu’un morceau ne rentre pas dans le cadre du spectacle que l’on prépare, mais qu’il va être la base du spectacle suivant. C’est systématique. Par exemple, dans le travail sur Gombrowicz, Gombrowiczshow, il y avait toujours deux acteurs qui se mettaient au premier plan. On a donc pensé qu’il faudrait leur proposer de travailler sur l’idée du solo. C’est ce qui a donné naissance à Deux masques et la plume.


Oncle Gourdin, votre nouvelle création, met en scène des lutins…


X. B. : C’est une meute, un peu communautariste, de lutins. L’idée de la figure du lutin nous est venue après avoir vu l’émission de télévision consacrée à un garçon autiste d’une vingtaine d’années. Il n’a qu’une seule passion déstressante : regarder un programme pour enfants où l’on suit les aventures, à tendance pédagogique, de Plop le lutin et de ses amis. La confrontation entre ce garçon dans son monde un peu paradoxal et ces petits personnages imaginaires sortis d’un Moyen-Âge obscurantiste nous a beaucoup troublé.


S. P. : Pour lui faire plaisir, la soeur du jeune homme lui a fait rencontrer les comédiens qui interprétaient les lutins. Ces comédiens avaient une bonne cinquantaine d’années et essayaient de jouer devant lui. Cela nous a donné envie de déguiser les comédiens avec qui nous travaillons régulièrement en petits et grands lutins. Pour cette nouvelle création, ils vont composer une famille de lutins proche de la famille Borgia, mais des lutins très beckettiens qui s’ennuient un peu, qui bricolent et se mettent, malgré eux, à faire du théâtre… La mort va cependant modifier le cours des choses. Sur le dos du cadavre, le vrai théâtre peut alors commencer.


X. B. : Ces lutins sont un peu des aristocrates, un peu pitoyables. Ils sont entre des rats et des fées Clochette. Ils sont pétris de contradictions et s’initient au doute. Ils vivent comme dans la caverne de Platon, sauf qu’ils ne sont pas enchaînés.


Que vont-ils interpréter comme théâtre ?


S. P. : Pour l’instant, tout est brassé : Claudel, Sophocle, Labelle-Rojoux… Mais il devrait être aussi question de Pasolini, Eschyle, peut-être Alfred Jarry, Shakespeare… Au début de la pièce, ils ne savent pas ce qu’est le théâtre, si ce n’est qu’en le lisant, ils s’endorment. Mais la ferveur artistique venant, ils commencent à avoir des idées, sans bien savoir ce qu’ils font et c’est là que les problèmes surgissent entre tous ces lutins. Les figures déboulent sans vergogne, ce qui pose des problèmes aux acteurs…


X. B. : Ces lutins sont métaphoriques de l’angélisme incertain (ni démoniaque ni céleste) et de la puissance supposée de l’imaginaire.


Y avait-il une part de lutin en chacun de nous ?


S. P. : Certainement, c’est « l’enfant divin », l’enfant intérieur qu’il y a en chacun de nous et dont parle le psychiatre suisse Carl Gustav Jung.


X. B. et S. P. (en choeur) : Hélas, il y a toujours un adulte un peu con qui sommeille dans l’enfant !


Vous parlez beaucoup de l’énergie nécessaire sur le plateau du théâtre…


S. P. : Elle est indispensable et c’est elle qui est à la base des improvisations que nous faisons dès le premier jour des répétitions. Bien qu’il y ait beaucoup de préparation de textes et d’objets avant la première répétition, nous ne faisons jamais de travail à la table. Pour nous, c’est l’action qui prime. C’est la base de notre processus de création. Nous impulsons, les acteurs agissent, nous organisons ensuite. La seule chose concrète pour eux, c’est qu’ils savent dans quel décor ils vont jouer. Nous préparons nos scénographies très en amont. Les acteurs du Zerep ne sont pas de grands enfants. Ils savent brasser la lucidité, la méfiance, le panache et l’artificiel, la matière psychique, le dandysme marécageux et la mauvaise foi.

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