Pour écrire cette pièce, Jean-Luc Lagarce s'est inspiré du Journal de Kafka. Il en a repris des fragments et les a insérés dans cette œuvre. Lagarce a procédé à un "tricotage" subtil entre son écriture et celle de Kafka. Les deux langues s'entremêlent et on ne peut décrypter, sans faire une étude comparée, ce qui est de l'un ou de l'autre.
Tous les personnages dans Nous, les hérosportent des noms qu'on retrouve dans le Journal et plusieurs des écrits de Kafka. Il est donc essentiel de s'y référer.
Il ne s’agit pas de re-transposer cette dimension de manière réaliste mais de s’en inspirer. Se plonger dans Kafka pour aborder Nous, les héros c’est saisir la profondeur de cette pièce, et en comprendre sa véritable substance.
Dans son journal, Kafka tente désespérément de décrire ce qui l’anime au plus profond, il se sent étranger au monde, inadapté, ridicule, il souffre et aspire à une vie moins médiocre. Selon lui, la seule échappatoire réside dans la littérature.

Le Journal est également parsemé de descriptions et de réflexions concernant des représentations théâtrales auxquelles il assiste. En effet, Kafka se lie d’amitié avec le directeur d’unetroupe de théâtre yiddish.
Si quelques éléments situent l’action à l’époque de Kafka, il n’est aucunement question d’une reconstitution historique. Jean Luc Lagarce reste imprécis, ce qui suggère que l’esthétique du spectacle peut (doit ?) évoquer une certaine contemporanéité.

Dans ce "matériau Kafka", il est question de lutte et de théâtre, mais aussi de la difficulté à écrire, du désir obsessionnel de pouvoir mettre en forme ce qu'on ressent, par l’écriture. "Mais il faut qu’une ligne au moins soit braquée chaque jour sur moi, comme on braque aujourd’hui le télescope sur les comètes»".
"Ce qui n’est pas noté par écrit vous papillote devant les yeux et ce sont des accidents d’optique qui déterminent le jugement d’ensemble", "Mon incapacité évidente d’avoir une impression pure"…
Ces phrases tirées du journal de Kafka me semblent être en lien direct avec les préoccupations de Jean Luc Lagarce.

Elisabeth Hölzle