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Noéplanète

mise en scène Árpád Schilling

: Rapport général aux comédiens

in "Le Théâtre, service public", NRF, Gallimard, 1975 Jean Vilar

« Allons au coeur du sujet et posons aussitôt la question : « Comment, jusqu’à ce jour, avons-nous accompli le travail de la réalisation scénique ? Avons-nous obéi à un principe ? Si oui, l’avons-nous toujours observé ? A l’aube de cette dixième année d’existence du TNP et de cette quinzième année de permanence du Festival d’Avignon, que devons-nous faire ? ». En un mot, comment allons-nous désormais travailler, et suivant quelles règles ?
(…)
Il n’est pas de style scénique à jamais fixé. Création ou interprétation, toute chose en notre métier subit aussi les remous de l’histoire. Rien n’est fixe. Et rien ne peut être modifié sans quelque danger. Le fait caractéristique de notre métier, peut-être est-il ce mouvement permanent, cette mobilité incessante, ce devenir jamais stoppé. La réussite engendre-t-elle la réussite ? Certes, on peut toujours remplir les caisses d’un théâtre avec une formule standard, et une formule bien mise au point peut permettre le remplissage absolu d’une salle de spectacle.
Reste la conscience de l’artiste. Reste aussi celle du directeur. Nos problèmes, je veux dire ceux du TNP, si nous les avons souvent éclairés publiquement par des statistiques et par des chiffres, n’ont jamais été réglés, du moins à mes yeux, par ces statistiques mêmes et par ces chiffres, fussent-ils heureux. Je dis bien qu’en définitive, ce qui compte en fin d’année, et ce qui décide en début de saison, ce n’est pas le chiffre, c’est la bonne ou la mauvaise conscience de l’artiste-directeur, sa réflexion satisfaite ou inquiète. Je dis bien : sa conscience. C’est là un mot que nous ne devons pas craindre d’employer, n’est-ce pas ?
(…)
Vous avez bien voulu entrer dans une compagnie et dans un théâtre qui portent le nom de Populaire. Je souhaite que ce mot ait effrayé beaucoup d’entre vous, provoqué le talent de certains autres.
(…)
Cependant vous savez - du moins je vous le confirme - que les portes de ce théâtre sont ouvertes à toutes et à tous. Si le rôle de notre théâtre, de ce théâtre national ne consiste pas à unir à tout prix les membres d’une société de toute évidence divisée, il n’est pas non plus de son devoir d’en entretenir les querelles, d’en accuser les séparations.
Certes, nous avons à travailler d’abord et surtout pour cette fraction majoritaire de notre pays que l’on appelle « populaire ». Nous lui avons créé son théâtre ; nous le lui avons donné. Cependant, nous n’avons pas le droit d’en faire un club, une franc-maçonnerie étroite, une caserne de la culture. Voilà dix ans que notre théâtre existe ; il est, n’est-ce pas, le contraire de cela.
(…)
Je sais bien que beaucoup d’entre vous sont originaires du peuple et que vous en partagez ou en soulagez encore les misères. Cependant, si vous êtes entrés dans l’ordre du théâtre pour oublier à tout prix l’histoire de ces misères, alors l’union entre nous est équivoque. Les membres de cette compagnie, les filles et les garçons de ce théâtre - et je m’adresse aussi bien à tous les services - s’ils sont entrés un jour dans notre « ensemble », parce qu’ils en aimaient la façon de vivre ou de travailler, et cela exclusivement, je les remercie, en tant que responsable de cette maison, de la confiance qu’ils nous ont faite. Toutefois cela est très insuffisant.
(…)
Disons qu’il est question d’étendre au plus grand nombre la connaissance, le plaisir, le savoir et le divertissement ; d’accroître l’influence sociale de ce théâtre, d’en faire enfin le type même du théâtre moderne, adapté aux lois, aux exigences, aux contraintes de la société moderne ; d’être curieux absolument du mode de vie du citoyen contemporain, de son habitat, de son emploi du temps, de ses colères, de ses souhaits.
(…)
Cette invitation que je viens de vous faire n’est pas, me semble-t-il, une vue de l’esprit. Elle est une nécessité. Nous ne sommes pas meilleurs que d’autres, ni plus généreux. Nous avons seulement le besoin de nous adresser à une certaine partie de la société. Pour parvenir à ce but, nous savons plus que d’autres ce qu’il en a coûté et à quel point le lien entre le théâtre et le peuple est toujours menacé. Cette invitation que je viens de vous faire - être des militants - doit accroître, je le répète, votre expérience aussi bien que l’influence et la réputation de ce théâtre, enrichir vos connaissances, les lier aux réalités de notre temps, aux difficultés quotidiennes de nos contemporains. Ne croyez pas que ces difficultés soient les mêmes que celles de l’artiste. Je vous invite à sortir de ce champ de la solitude peuplée qui est celui d’une compagnie théâtrale permanente. Nous ne serons jamais assez dans le siècle. »

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