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Noéplanète

mise en scène Árpád Schilling

: Tracés entre les pôles - Entretien avec Árpád Schilling – Février 2012

Propos recueillis par Irène Filiberti

Pourquoi citez-vous Jean Vilar, à propos de votre projet Noéplanète ?


Ce sont des recoupements à partir de phrases de Vilar que j’avais trouvées ici et là et qui me semblent en résonance avec l’actualité, autour de l’importance des artistes, ou bien de comment on enrôle le peuple, ou encore comment s’investir, à qui s’adresser ? A l’époque de Jean Vilar, dans l’après-guerre, il était nécessaire de refonder, il y avait à reconstruire. Il fallait reconstituer une réelle communauté. De là pour lui l’idée d’un véritable intérêt commun à servir la société, à faire du théâtre pour tous. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une autre réalité et la question se pose en d’autres termes : comment rester une société alors que chacun se pense individu, isolé dans son monde qui se veut sans immigrant, reste sans voir ni comprendre les réalités, notamment celles des artistes. On peut s’en rendre compte lorsque qu’on joue en compagnie. Plutôt que la rénovation, comment croire désormais en une communauté ? C’était l’idée majeure de Jean Vilar, me semble-t-il, et il était à la tête d’un grand théâtre. Avec des moyens importants, il a pu travailler à ce qu’il croyait mais sa vraie question est toujours restée : « qui sera là ce soir ? » Aujourd’hui, beaucoup pensent qu’il n’est pas besoin d’art et de culture, qu’il est suffisant déjà de juste de gagner son pain. Mais si le citoyen n’est pas d’emblée convaincu de cette nécessité, quelle est la légitimité de l’artiste dans la société ? La haine de l’art et des artistes m’effraie, surtout quand je vois ces mouvements contre des pièces ou quand j’entends certains discours politiques, avec les conséquences qu’ils peuvent produire. A l’inverse, je crois dans le progrès et l’innovation de l’art, je crois en sa force de changement. Mais si je ne suis pas légitimé en tant qu’artiste, comment apporter cette contribution ? Le théâtre est cet endroit de toutes les rencontres, avec la possibilité de mettre en discussion toutes ces différences. Sans art ni culture, il n’y a pas de communauté. Nous avons à sauver cette idée de la culture en Europe.


Ces dernières années, vous avez modifié votre façon de travailler. Quelles en sont les raisons ?


Jusqu’en 2008, nous n’avions pas eu de problème pour aller à la rencontre des gens, dans différents milieux et contextes. Il était facile de sortir du rapport académique au spectacle. Il y avait de l’intérêt, de l’écoute. C’est plus difficile maintenant. Je ne suis pas conduit par l’esthétique au théâtre, c’est peut-être pour ça que j’ai envie d’aller vers les autres, d’être en contact avec toutes sortes de mondes. Paris est une ville qui propose beaucoup en termes de culture mais tout y est de plus en plus concentré. Ailleurs les cercles d’amateurs sont de plus en plus réduits et le reste du champ est abandonné. Autour de ces microcosmes des grandes villes, c’est le no man’s land. Pourtant les gens sensibles sont nombreux. Pourquoi si peu d’entre eux sont-ils concernés par ces possibilités, par l’art ? C’est très surprenant surtout lorsqu’on vient d’un pays où tout cela n’existe pas. En travaillant en France, j’ai été frappé par ce fabuleux projet des maisons de la culture, mais elles n’attirent plus qu’une partie de la population. Tout est devenu homogène autour de multi pôles culturels et ces ensembles sont coupés les uns des autres. A la périphérie existent d’autres cultures, mais le centre les ignore. Comment se sentir acteur dans une société dans ce cas ? Comment refaire lien avec tout cela ?


Etre présent à Chaillot, un grand théâtre national au coeur de la capitale, est une opportunité pour tenter de regrouper des éléments communs à l’Ouest autour de cette perception de l’Europe. Mon but avec Noéplanète est d’imaginer une sorte plateforme, afin de poser ce socle commun, tout en cherchant à éviter les écueils de l’art postmoderne. Pas de quotidien, mais la culture et le langage. Je cherche à susciter un mouvement naturel, à partir d’un espace neutre pour communiquer, savoir pourquoi l’autre est là, d’Islande en Albanie.
L’idée, depuis Chaillot, serait de s’intéresser à tous ces pôles, au moins de tracer des lignes entre le centre et la périphérie. Noéplanète est un pas sur cette nouvelle voie, la première étape d’un processus long et continu – parallèlement déjà mis en jeu en Hongrie – mais que je n’avais pas encore eu le loisir d’explorer à partir de la France où j’ai souvent travaillé. C’est avec cette expérience, qui provient aussi des activités que j’ai pu mener à la MC93 de Bobigny, qu’il m’intéresse d’évoquer la société française et sa culture, comme j’ai pu le faire en Hongrie, sachant que je ne travaille pas seulement avec des Français. J’y vois l’occasion d’entreprendre de nouvelles démarches avec les acteurs, et envers les gens. Cela me semble un endroit idéal d’intervention afin d’utiliser le langage artistique pour construire, former, échanger.
Lors de mes diverses interventions dans des écoles de théâtre, j’ai pu me rendre compte que l’esprit de Vilar était toujours présent : des jeunes artistes avaient le désir de dépasser les frontières de l’art pour soi pour l’amener à d’autres personnes pas forcément attirées par lui. C’est formidable : aujourd’hui, il n’y a pas un Vilar mais des centaines ! Donc, l’idée de ce projet est de considérer Chaillot comme un centre, à partir duquel rayonner vers l’extérieur.


Depuis ses origines, le théâtre est un lieu où se croisent tous les arts, la danse, la musique, l’image… Je tiens à poursuivre ce processus, avec tous les langages artistiques y compris avec les nouvelles technologies. Cette recherche est mise en jeu, en balance avec mes propres histoires, d’où je viens, la façon de raconter, d’être soi, de mettre en scène avec ces réflexions, ces thèmes.


L’image en est un feu, l’idée : reconstruire le feu

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