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: littérature et image

De l’utilisation de la vidéo Le collectif Crypsum est né de l’envie de réunir des artistes complémentaires (comédiens, vidéastes, dessinateurs, graphistes…) afin de réfléchir ensemble sur deux points précis, autour desquels s’articule tout notre travail : l’adaptation et la place du spectateur.


En faisant le choix d’adapter des textes non destinés à la scène (romans, articles, dialogues de films…), nous interrogeons les fondements mêmes du spectacle vivant en nous demandant : comment rendre cette matière spectaculaire et comment y faire participer le spectateur ?


La vidéo, dès lors, devient non pas une réponse à ces questions, mais le relais concret de cette recherche, puisqu’elle nous permet de montrer le geste créateur, sa construction et notre rapport à la machine. Elle devient un outil central et oeuvre à transformer nos habitudes, chaque comédien devenant régisseur, préparant une scène pendant qu’une autre se joue, assurant ainsi ce dialogue continu entre la parole et l’image.


Un outil de la mémoire


Dans NOS PARENTS, la vidéo est d’abord un repère temporel : elle tisse ce lien ambigu entre le présent de la représentation et le temps de la mémoire. Le souvenir ne fait que reconvoquer des images et produit l’envie de le remettre en scène pour en découvrir le véritable message. La caméra sur le plateau est un moyen d’enquêter dans le souvenir reproduit, mais aussi de le trahir et le faire mentir, ce qui est bien le principe même du travail d’adaptation.


Les projections d’images préenregistrées, fixes ou animées, sont autant de moteurs de jeu et d’appels à la mémoire collective : de fausses séquences d’archives immédiatement identifiables, un comédien diffusant son journal-vidéo pour y retrouver un épisode clef de son histoire (en référence aux artistes qui se racontaient devant leur caméscope, aux récits intimes diffusés aujourd’hui sur tous les écrans possibles, à l’innocence de cet âge d’or de la vidéo domestique)… L’image crée ainsi l’invitation et le trouble, des photographies personnelles des comédiens étant aussi projetées, afin d’ouvrir ce récit familial à une dimension universelle (photos de mariage des parents, communion des enfants, fêtes de fin d’année, vacances…). Dans notre scénographie, trois écrans mobiles permettent de réunir ou diviser ces images, dont certains détails seront isolés pour contrarier le souvenir ou pour appuyer ce qui peut le rendre douloureux.


Une machine de la cruauté


Ces trois surfaces mobiles sont tout à la fois écrans, cadres et décors, avec cette possibilité de cacher un espace pour en construire un autre (des espaces quotidiens : reconstitution d’une chambre d’adolescent, figuration de la cuisine familiale…), faisant soudain entrer le réel, et donc le spectateur, dans la fabrication du spectacle. La projection frontale et la rétro-projection permettent une simultanéité d’images, l’image faite et l’image en train de se faire. Remettre en scène le souvenir, c’est donc soumettre son cadre à la machine, pour tenter de le maîtriser ou le décaler. Ainsi, le tournage en direct donne aux comédiens l’occasion de construire ensemble ou de se piéger, d’enfermer l’autre dans une image déjà vécue, devant la caméra, l’obligeant à traduire au présent les conséquences du souvenir convoqué.


Mettre en scène la mémoire d’une famille est une entreprise cruelle, et la machine se fait complice de cette cruauté : elle annule la mise à distance nécessaire à l’effort de mémoire pour aller trouver les failles du récit, pour ramener les comédiens au présent et les contraindre à une vérité, qui fera écho à celle avec laquelle le spectateur revisitera sa propre histoire. La disponibilité de la machine et sa manière de nous échapper traduisent notre rapport au souvenir. Le travail vidéo est donc essentiel au travail d’adaptation : il le prolonge en direct et avoue sa construction, afin que le spectateur produise ses propres images et complète ainsi le spectacle.


« Il faut déjà avoir vécu les choses une première fois avant de pouvoir les filmer en vidéo. Sinon on ne les comprend pas, on ne les vit pas, on ne peut en faire la synthèse, la vidéo absorbe tout de suite et bêtement cette vie pas vécue. Mais si la vidéo parvient à faire le lien entre photo, écriture, et cinéma, elle m’intéresse. Reconstituer en vidéo un instant vécu est un peu moins impossible qu’avec la photographie, qui produit alors un faux : avec la vidéo on s’approche d’un autre instant, de l’instant nouveau, avec, comme en superposition, dans un fondu enchaîné purement mental, le souvenir du premier instant. Alors l’instant présent qui est attrapé par la vidéo a aussi la richesse du passé. »
(Hervé Guibert - Le Mausolée des Amants)

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