theatre-contemporain.net artcena.fr

Moi aussi je m'appelle Julia

mise en scène Joëlle Aguiriano

: Note d'intention & scénographie

Pour mon premier projet de création au sein de la ‘Compagnie L’Auberge Espagnole’, j’ai choisi de me fixer un objectif à la fois simple et ambitieux : donner à voir aux spectateurs un texte engagé d’un auteur espagnol contemporain.


Adapter pour la scène un texte narratif – qui plus est, peu connu – c’est d’emblée faire le choix de l’inattendu et se placer en marge des sentiers battus.


Adapter la nouvelle « Yo también me llamo Julia » de l’écrivain catalan Francisco González Ledesma c’est interroger les complexités et les violences d’une époque révolue et pourtant encore très présente dans l’Histoire contemporaine des deux côtés des Pyrénées. Cette Histoire fait partie de ma mémoire, de celle de beaucoup de jeunes de ma génération et, de manière plus générale, de la mémoire de l’Espagne qui encore aujourd’hui s’interroge par le biais de lois mémorielles – telle que la Ley de Memoria histórica de 2007 – sur son passé et cherche des réponses aux questions laissées en suspend par la transition démocratique.


Il était pour moi nécessaire de parler des blessures de ce pays où se trouvent une partie de mes racines et de cette problématique Mémoire/Histoire au coeur de laquelle prend place Moi aussi je m’appelle Julia par l’évocation des jugements sommaires des premiers mois de l’après-guerre.


Cependant, la beauté de ce texte réside aussi dans le fait que le court moment partagé par les deux protagonistes de l’histoire – la prisonnière et sa geôlière – fait fi de tous les manichéismes et de toutes les idées reçues. Il n’y a pas ici les bons et les méchants ; juste deux femmes que l’Histoire a placé des deux côtés d’une infranchissable frontière.


La gardienne est elle aussi enfermée à demeure et obligée d’occuper un poste qui semble lui avoir été imposé. Même si pour elle l’issue n’est pas fatale, elle doit rester là et subir : pour elle, la peine capitale semble avoir été commuée en enfermement à perpétuité.


« Yo también me llamo Julia » est une courte tragédie comme la Guerre civile espagnole en a connu des milliers.
C’est une histoire dans l’Histoire.
C’est l’Histoire vue du côté des victimes.
C’est aussi l’histoire des Femmes.
L’histoire de deux femmes.
L’histoire de cette Guerre qu’elles n’ont pas souhaitée.
C’est une histoire de douleurs réelles et d’espoirs vains.
Une histoire de pitié et de compassion…
… à la fois terriblement indispensable et totalement dérisoire.


Adapter cette nouvelle pour une seule comédienne, c’est faire le choix de rendre symboliquement leur unicité à ces deux femmes.
Deux femmes que rien ne distinguerait si l’Histoire cruelle et chaotique de leur pays n’en avait décidé autrement.


Scénographie


Dès la genèse du projet s’est imposée à moi la nécessité d’une scénographie sobre, dépouillée, permettant au spectateur de percevoir la réalité étouffante de ce huis-clos carcéral sans pour autant en donner à voir une illustration réaliste.


J’ai fait le choix de suggérer sans les montrer la contrainte, l’enfermement, le froid et l’humidité du cachot, la literie sale et encore tiède de la présence de la recluse précédente, sans tendre pour autant vers le minimalisme d’un plateau totalement dénudé.


J’ai également souhaité laisser aux objets leur pouvoir d’évocation tout en profitant d’un dispositif scénique très simple mis en valeur par une lumière contrainte délimitant un espace définit et clos proche du concept de la ‘boite noire’.


Deux rangées de barres verticales structurent l’espace scénique, fonctionnant tour à tour comme un paravent ajouré, comme une frontière symbolique ou comme autant de barreaux hypertrophiés marquant la séparation entre la prisonnière et sa geôlière.


Accrochées aux barreaux pendent quelques hardes ayant appartenu à d’autres prisonnières, comme des trophées, des souvenirs ou des reliques, vestiges d’autres âmes passées en ces lieux. La gardienne les range, les manipule, les aère, les ressort et leur redonne vie au gré des besoins et des allées et venues des prisonnières.


Le trousseau de clefs de la gardienne symbolise à lui seul le lien de la fonctionnaire à son rôle et à son obligation de garder.


La bassine en zinc, le panier en jonc tressé, ou le missel sont les quelques éléments matériels qui renvoient le spectateur à la vie quotidienne de l’Espagne d’après-guerre.


Ces quelque objets simples et populaires disent à la fois le dénuement, l’espoir et la nécessité de continuer à vivre coûte que coûte pour les rescapés du conflit.


Rapidement, le choix d’empêcher le spectateur de distinguer le visage du violoncelliste s’est imposé à moi.


Si le lieu commun veut que l’instrument soit le prolongement du musicien, c’est ici l’inverse que j’ai souhaité mettre en scène : c’est bien le violoncelle qui est porteur de voix dans la pièce et non l’instrumentiste.


Ce qui importe c’est le crescendo progressif de la musique : une présence tout d’abord légère et inquiète ; puis l’instrument prend corps et voix progressivement et un véritable dialogue s’établit entre la comédienne et l’instrument.
Le violoncelle rythme le dialogue et nourrit les silences des personnages.


Tour à tour percussion, instrument à cordes frottées, pincées ou frappées, le violoncelle donne vie aux bruits inquiétants de la forteresse et prête corps et voix à la prisonnière lorsque sa complainte lancinante évoque le lamento final de la condamnée.

Joëlle Aguiriano

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.