: Paroles de...
Jean Boillot, metteur en scène, directeur du NEST :
Le choix de la pièce s’inscrit dans mon travail sur le théâtre épique dont le maître est Bertolt Brecht. Je
poursuis mon travail sur le théâtre sonique, la pièce permettant une articulation forte avec la musique et
les sons, dimension essentielle de mon parcours théâtral.
De la mise en scène ressortent les fondamentaux du théâtre épique. Dix acteurs changent de rôles, avec
des choix significatifs (la comédienne qui interprète Catherine la muette incarne également Yvette la
prostituée). L’écriture d’images vidéo concrétise la « chronique de la guerre de Trente Ans » : les champs
de batailles sont représentés par des maquettes filmées projetées sur le fond de la scène, et font sens
avec le texte, les sons, le jeu des comédiens…La musique est du son brut, un vocabulaire très abstrait qui
fait référence à des éléments précis de la pièce. Quant à la nouvelle traduction d’Irène Bonnaud, elle est
plus orale, plus actuelle que celle de Guillevic, et restitue davantage le rire. Le cabaret, la farce côtoient
les larmes dans cette comédie noire. Pour Brecht, l’homme est responsable de l’homme, il n’existe pas
de fatum. La notion de tragédie est donc inopérante.
Enfin, la distribution des rôles participe de la profondeur de la pièce. Comme un peintre qui choisit ses
textures, ses matières, le jeu entre l’acteur et le rôle qu’il interprète ajoute au sens. J’ai voulu une famille
métissée, recomposée, en écho avec la famille d’aujourd’hui et avec les premières lois raciales votées en
1939, lorsque Brecht écrit sa pièce. Pour cette première création au NEST, la liberté de chaque membre
de l’équipe s’exprime dans un cadre donné pour produire une oeuvre collective qui fait sens d’un coup.
Christophe Triau, dramaturge :
La seconde Guerre Mondiale est très clairement une référence de la pièce, et si la base est
contemporanéisée, nous avons conservé des références historiques ça et là. Mais certains aspects de la
guerre permettent d’élargir l’oeuvre à toute situation de crise du monde actuel, politique, sociale,
économique. Et surtout, de montrer une Mère Courage qui doit survivre au point d’assumer cette
contradiction : la guerre est détestable mais elle est nécessaire. Elle participe de quelque chose qu’elle
ne cautionne pas et qui devient son quotidien. Sa fille Catherine se révolte (cf. «La pierre se met à
parler», p.111 éd. de l’Arche), sa réaction est viscérale, animale, là où sa mère trouvera toujours une
justification à son commerce. Elle accompagne cette guerre et au final, s’y perd. Mais elle est prise dans
une nécessité de survie, dans une peur aussi, renforcées en situation extrême de crise. Malgré ses
sentiments maternels et la perte de ses enfants, elle poursuit sa course en avant. Comme tout un
chacun, elle participe d’un système qu’elle réprouve mais qui lui est nécessaire.
Isabelle Ronayette, comédienne, interprète Mère Courage :
A 40 ans, Mère Courage est une femme d’aujourd’hui, une mère célibataire de trois enfants qui essaye
de se débrouiller, et gère sa petite entreprise de son mieux. Elle me rappelle les Roms qui se baladent de
ville en ville. C’est un rôle difficile, sur lequel il existe beaucoup de préjugés mais je ne juge pas mon
personnage, je lui prête ma voix, mon corps, je suis le texte, les indications du metteur en scène, et je
vois où cela m’emmène. Je travaille sur la spontanéité, et je prends des cours de chant. L’essentiel est de trouver un équilibre dans l’équipe, un ensemble car nous sommes dix comédiens, certains jouent
plusieurs rôles, et nous racontons une histoire. Il n’y a pas de rôle titre.
Irène Bonnaud, traductrice :
Traduire la langue allemande pose toujours des problèmes. L’Allemand est plus abrupt, plus gestuel que
le Français, plus littéraire, plus élégant. Brecht emploie une langue très orale car les personnages de
l’oeuvre sont populaires. Et tous éprouvent du plaisir à parler, il était donc nécessaire de conserver leurs
idiomes respectifs. Mère Courage fait des digressions, des parenthèses, des ruptures syntaxiques alors
que l’Aumônier aime l’emphase et les discours. La traduction proposée se veut plus contemporaine, en
adéquation avec le théâtre épique qui cherche à raconter une histoire dont l’époque n’est pas très
éloignée de celle du spectateur. Les chansons sont versifiées et rimées dans le texte original, or les musiques
sont réécrites par Jonathan Pontier. La traduction s’est faite en fonction de ces nouvelles mélodies.
Jonathan Pontier, musicien-compositeur :
J’ai conservé l’aspect traditionnel de certaines mélodies, ainsi que l’aspect populaire des chansons de
cabaret de la pièce d’origine car leur forme est directe, simple, concise, et elles s’adressent au public. J’ai
créé des musiques très années 80, parfois presque publicitaires. Tom Waits, Frank Zappa, Stevie Wonder,
Leonard Cohen, Bertrand Belin sont autant de références qui m’ont permis de contextualiser les
chansons. Je me suis même parfois inspiré de musiques de dancefloor, de Lady Gaga à la Madonna de «
Music », jusqu’au rap tendance gangsta qui martèle le rythme. Sans oublier la surf music des Beach Boys.
Cela permet aux comédiens de s’approprier les mélodies lors des répétitions.
Mais le résultat, in fine, sera peut-être loin de ces références car les orchestrations sont éclatées pour en
conserver les sons, les rythmes. Nous ne sommes que deux en scène avec un ordinateur, une boîte à
rythme, un synthétiseur, et il nous faut retrouver une unité sonore. Chaque chanson apporte sa
dramaturgie, une épaisseur à la scène et notre parti-pris est celui du théâtre de la reconstitution, épique,
qui donne la sensation que les événements ont lieu maintenant, ou tout près de nous. La musique sert
beaucoup le texte, et le tout doit produire une véritable création musicale qui fait sens.
Laurence Villerot, scénographe :
Cette création s’appuie sur un principe de base : l’histoire racontée est une reconstitution, la donnée
réaliste n’est plus la même car les acteurs qui sont sur scène racontent l’histoire de Mère Courage. On
est dans le moment du récit de ce qui s’est passé, et ce qui nous intéresse, c’est de voir comment cet ici
aujourd’hui interagit avec l’histoire de la guerre de Trente Ans et travaille sur nous, sur le spectateur.
Alors comment renouveler douze fois l’espace en fonction des douze tableaux ? Nous avons cherché un
espace périurbain, car toutes les actions de Mère Courage se situent en marge de l’action principale. La
carriole se devait d’être présente, car les personnages évoluent toujours autour, et les musiciens doivent
se positionner dans l’espace scénique. Les chansons font également partie intégrante de l’oeuvre. Et les
champs de bataille renvoient à la chronique de la guerre. Le décor tient compte de tous ces éléments : le
choix des matières brillantes renvoie au cabaret, les maquettes de champs de batailles sont filmées en
direct et projetées sur le fond de la scène. Les musiciens sont isolés dans une cabine, derrière des vitres.
Tous ces éléments donnent du sens, au même titre que le texte et le jeu des comédiens.
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