Monter Brecht, c’est d’abord poursuivre notre recherche artistique sur ce que peut être un théâtre épique aujourd’hui. Loin des clichés sur le théâtre de Brecht, nous l’avons pris tel qu’il est vraiment : un théâtre utile mais loin de tout didactisme caricatural; un théâtre concret, dynamique et dialectique, un théâtre de la contradiction et de la vitalité.
Monter Mère Courage, c’est aussi prolonger le travail précédemment mené avec Le Sang des amis en compagnie de Jean-Marie Piemme : passant de la guerre civile à la guerre tout court, du spectacle du combat des élites pour le pouvoir au point de vue des civils, à l’errance de la cantinière suivant, à travers l’Europe et les années, une guerre sans fin, sans héros et dont les décideurs sont toujours invisibles.
Cette guerre résonne avec celles qui, de l’ex-Yougoslavie à l’Irak, ont marqué les deux dernières décennies. Mais cette guerre vaut aussi pour toute situation de crise – économique, sociale, morale –, toute situation critique. Elle vaut pour notre fausse paix dans laquelle, pour de plus en plus de gens, la question de la vie se retrouve réduite à la seule question de la survie. Mère Courage et la guerre dans laquelle elle est plongée – sans en apprendre rien, sans pouvoir poser sur elle un point de vue critique, – se révèle plus qu’une forte métaphore : un véritable champ d’expérience, révélateur de contradictions. Notre Mère Courage sera jeune encore, mère célibataire encore séduisante, encore pleine de possibles. Habitée de tensions contradictoires, en elle s’affrontent et fusionnent, comme partout autour de nous, aveuglement et vitalité, survie et destruction.

Christophe Triau, dramaturge du NEST