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Médée

+ d'infos sur le texte de Max Rouquette

: J’ai souvent rêvé…

…en suivant la route qui, de la Boissière, descend sur Aniane, à un théâtre pour les gens de la contrée, simple et, peut-être, pas tellement onéreux. Il est déjà prêt : la terre, le ciel, les rochers, un ruisseau, l’ont dessiné. Nous n’aurions qu’à le faire théâtre. Il fait penser à ceux de la Grèce. Le ruisseau, sec l’été, entoure aux trois quarts, dans son cours sinueux, un relief qu’il serait vite fait d’aplanir et qui serait la scène. Pour les spectateurs, la pente de la colline, raide, qui encercle à demi le ruisseau courbe.
On peut couper les chênes verts ; on peut disposer des dalles, les lauses, ici, ne manquent pas. Les gens s’assiéraient sur les pierres, les rochers, la terre, sur leurs vestes ou des coussins. Mais ce n’est peut-être qu’un beau songe.
Et la pièce ? La pièce serait à l’image de ce théâtre, dans son esprit, pierreux, brutal, dur, sans ornements, mais parfois avec l’ampleur du vent, de la chaleur, de l’air, du ciel, de la nuit ; et aurait pourtant les reflets et les significations de la vie, de ses tourments, des tempêtes, des songes et de la souffrance de tout homme, dans tous les temps.


Mais un rythme comme celui de Médée, il suffit qu’il soit à peine transposé, décapé de ses aspects d’antiquité et que, passé à notre époque, tout en conservant son éclat légendaire, il garde toujours son pouvoir dans l’âme populaire, pour pouvoir toucher directement l’esprit de notre peuple. D’autres l’ont fait ailleurs. Je le sais. Pour d’autres raisons qui ne sont pas les miennes.
Le chœur, je l’ai, lui aussi, détourné de son apparence grecque. En vérité, dans la société méridionale, le chœur antique est resté toujours vivant. Sur les placettes, à la gardette, devant le café, au bon de la nuit, le groupe des vieilles femmes est bien là pour commenter tout événement et le charger de cet écho que le peuple assemblé ajoute à toute chose personnelle. Le maintenir, mais par fragments, de trois ou quatre personnes qui se répondent, ou qui nous donnent, sans se mêler, l’image de pensées différentes, cheminant de concert, sans s’entendre ni se comprendre.
Les vieilles, dans ce passage du mal, je les veux, comme est souvent, en vérité, l’opinion publique, quelque chose de malin, l’image de la vie lorsqu’elle en est venue à l’âge sans pitié, comme, et sans doute pourquoi, sans illusions. Avec seulement, par-ci, par là, un tendre souvenir, un espoir aussi étrange ici qu’une fleur d’amandier sur l’écorce noire d’un vieil arbre tordu, et mort plus qu’aux trois quarts ; l’espoir que donne en vain, l’enfance, dans l’innocence de sa fleur. C’est pourquoi je les vois avec des masques qui leur donneraient l’apparence de chouettes, hiboux, grands ducs, ou effraies, à la face blanchâtre, hurlant à la mort, et sans grande pitié au cœur ; miroirs, déjà de la mort triomphante et du mal.


Tout au log de la pièce, avant toute action, comme lorsqu’elle s’achève, les vieilles (quatre ou cinq), vêtues de noir, avec leurs écharpes moires qui allongeront leurs gesticulations ainsi que des ailes de corbeaux ou de chouettes, seront dressées, ici et là, à des hauteurs différentes, tournant très lentement, sans mot dire, d’abord, leurs faces blanches d’oiseaux de nuit, seul mouvement de leurs corps. On peut deviner, avant que s’élève toute parole, leur jacassement, leurs cris aigus, leurs battements d’ailes, comme font les pies qui se disputent sur la branche haute d’un arbre mort. Cris de pies ou de corneilles, animaux sans signification. Porter au plus haut l’apparence animale.
Réparties en deux couples de chaque côté de la mère du chœur, celle qui lancera, à voix rauque, la parole majeure, reprise et balancée et renvoyée d’un groupe à l’autre. Chaque couple aura sa voix, l’une aiguë, l’autre basse. Et la mère, au milieu.
Les mouvements de cette sorte de chœur serviront à animer la scène, dans les moments apaisés qui séparent les tensions. Au contraire, le chœur immobile, comme dit plus haut, et muet, aura pour but de souligner, par son silence et les lents mouvements des seuls visages, les points de grande tension.
Quant à la forme, j’ai repris, en dehors du dialogue d’échanges, ces psaumes que j ‘affectionnais déjà au temps d’ « Occitania » et de « Terra d’Oc », ceux de David, de Job, d’Isaïe ou d’Ezéquiel et qui s’accordent si bien au génie de la langue. En vérité, tout psaume est fait pour être psalmodié. Je ne suis pas, hélas, musicien. J’ai écrit les versets. Peut-être qu’un jour ces « Psaumes de Médée » donneront à quelque jeune musicien l’idée de chercher, je veux dire de « trouver », la monodie qui, avec eux, s’accordera.
Ce serait l’accomplissement d’un effort, tenté en vain par tant, pour rejoindre les enchantements de cette tragédie grecque qui fascinait Nietzsche, et que Wagner entendit autrement ; ceux qui, dans les soirées vibrantes de la canicule, envoûtaient le peuple grec il y a deux ou trois mille ans.


Max Rouquette
Préface à Médée
Editions Espaces 34

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