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Médée

+ d'infos sur le texte de Max Rouquette

: Journal de voyage

Je m’embarque donc pour Bobo-Dioulasso avec le texte de Médée de Max Rouquette que je viens de découvrir. Plusieurs points de concordance se font jour très rapidement entre cette tragédie et les acteurs de ce groupe. Tout d’abord qu’ils soient catholiques, musulmans, animistes, le lien au sacré est omniprésent et assez proche de qu’il pouvait être chez les grecs. Ici la présence des Dieux est réelle. Médée la magicienne peut être à l’image de la femme africaine dotée de dons et de pouvoir.
Les tragédies grecques adviennent en un temps et un lieu où s’invente la démocratie, passage donc d’un ordre politique ancien, archaïque à un nouvel ordre synonyme de modernité. Depuis un siècle l’Afrique vit un tel bouleversement, la démocratie se cherche et les différents pays doivent se défaire de nombreux tyrans et la vie des peuples est marquée de nombreux conflits ethniques. Ainsi en va-t-il par exemple du sort réservé à nombre de Burkinabés séjournant en Côte d’Ivoire, suite à la mise en avant du concept « d’ivoirité » par le gouvernement de Laurent Gbagbo. Bon nombre de Burkinabés sont animés d’un réel sentiment de vengeance du fait des violences subies par « leurs frères » et une spirale de vengeance est amorcée, et vécue comme juste nécessaire. La violence qui porte les actes de Médée est un sentiment palpable chez l’homme de la rue.
Enfin il semble qu’ici la parole du chœur, comme expression du voisinage ou de la cité ai encore un sens alors que dans nos sociétés occidentales, atomisées, ayant perdu le sens de la communauté et de la solidarité, sa représentation en soit devenue impossible.


Hier soir, je regarde un reportage de TV5 Afrique au sujet des affrontements de Bounia au Congo. Le reportage nous entraîne sur les traces des enfants-soldats, véritable plaie de la plupart des conflits armés africains. Un garçon d’une quinzaine d’années, Thomas, pose avec un fusil mitrailleur. Il est très souriant et parle un français très convenable. Le journaliste lui fait remarquer qu’il est encore un enfant et qu’il vaudrait mieux qu’il aille à l’école :


- « Non je ne suis plus un enfant. Je peux me servir d’un fusil. La semaine dernière, nous avons repoussé les lounsis, J’en ai tué cinq. Après, je veux aller à l’école ou en France pour étudier. »
- « Peut-être quand la paix sera revenue, tu pourras aller à l’école avec des jeunes avec lesquels tu te bats aujourd’hui. Eux aussi souhaitent vivre en paix. »
- « Jamais, s’exclame-t-il, même s’ils venaient à l’école avec nous, tu ne pourrais pas faire confiance, ils auraient des couteaux cachés et on pourrait se faire égorger ».


Ainsi, même si les conflits cessent du fait de la présence de troupes d’occupation ayant en charge de pacifier la région, tout laisse à penser que le germe de la méfiance et le désir de vengeance seront ancrés au plus profond du jeune Thomas et donc prêt à se ranimer à la première occasion.
La vengeance est ressentie comme une nécessité. Il en va de l’honneur de l’ethnie, comme s’il s’agissait d’actes ayant porté atteinte à l’honneur familial. Ainsi, en discutant avec Moussa, aussi bien qu’avec Abou, je mesure qu’ils sont prêts à un conflit avec les ivoiriens qui ont, me disent-t-ils tous deux « commis des atrocités contre nos frères burkinabés. D’ailleurs, notre armée est la plus forte ». Moussa se dit même prêt à repartir à l’armée s’il le fallait.


Ici à Bobo, je ne vois pas de traces du conflit en Côte d’Ivoire. Pourtant, j’apprends par Abou que sa famille est rentrée à Banfora, ville du Burkina, proche de la frontière. Amadou (Jason) a également reçu des cousins dans sa cour, et nombreux sont les « parents » ayant du revenir.


L’autre soir, Abou me montre deux 4 x 4 qui arrivent près de l’hôtel de nuit, de hommes en sortent. Abou m’indique que ce sont des mercenaires engagés par les rebelles de Bouaké ; Bobo-Dioulasso est d’ailleurs leur base d’approvisionnement dans laquelle ils opèrent de nuit.


La vengeance donc comme condition du rétablissement de l’honneur est sans aucun doute le sentiment premier qui relie Médée à une lecture africaine. Bien que l’acte que commet Médée soit profondément étranger à Justine, elle saisit viscéralement elle aussi ce désir de vengeance. La trahison est ici plus qu’ailleurs inexcusable, or Jason trahit son clan et immédiatement son attitude, sa fuite, son futur mariage avec Créuse font écho à la violence générée par la polygamie, contre laquelle les jeunes femmes s’insurgent. Ainsi la Médée abandonnée délaissée par Jason - l’opportuniste - préférant la couche de Créuse qui lui ouvre la route du paradis éveille-t-elle la compassion des femmes du chœur.


Plus les répétitions avancent et plus je m’imprègne de ce pays et plus je ressens le texte de Max Rouquette comme lié à la terre d’Afrique. Cette impression est certainement due au fait que la poésie de Rouquette s’appuie sur une observation de la nature. Ces textes sont pleins de senteurs des plantes, des mouvements des astres,… et ici le rapport à la nature est essentiel ; la survie des hommes en dépend (progression du Sahel, attente de la saison des pluies …).


Certes un grand nombre de personnes vit aujourd’hui dans des grandes villes que sont Ouagadougou et Bobo mais la plupart sont originaires de villages, villages d’agriculteurs et la langue de Rouquette est bel et bien celle des agriculteurs du Sud de la France, celle qu’enfant j’entendais de la bouche de ma grand-mère et que je qualifiais alors de patois. L’Occitan et ses images répondent au Dioula. Une langue plus archaïque que le français donc pour faire lien avec la Grèce Antique, et créer des images qui semblent avoir pris naissance en Afrique de l’ouest ou « Entouka » en parler comme ses filles.
Rouquette rêve d’une représentation dans un théâtre de plein air et « la pièce serait à l’image de ce théâtre, dans son esprit, pierreux brutal, dur, sans ornement mais parfois avec l’ampleur du vent, de la chaleur, de l’air, du ciel, de la nuit, et aurait pourtant les reflets et les significations de la vie, de ses tourments, des tempêtes, des songes et de la souffrance de tout homme, dans tous les temps ». Les paysages entre Ouagadougou et Bobo obéissent au souci de l’auteur.


Extrait du Journal de Voyage de Jean-Louis Martinelli
juin 2003.

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