theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Deux mille vingt trois »

Deux mille vingt trois

Maguy Marin ( Conception )


: Note d'intention

Dans le déluge d’images qui nous inclut avant même qu’on s’en aperçoive, nous sommes testés comme des machines et des objets usuels dans tous les secteurs de la vie économique et sociale. Nos corps sont devenus objets de surveillance, filmables et enregistrables. Mais les mystères de la motivation humaine n’ont pas tous été révélés. Si l’échec des mouvements politiques du XXème siècle les a transformés en objets esthétiques, les récents mouvements de libération montrent qu’est toujours vivant au plus profond des êtres un vent de révolte capable de chasser ceux qui contraignent au silence de la misère.
Walter Benjamin nous le dit : « Organiser le pessimisme ne signifie rien d’autre que de découvrir dans l’action politique un espace à 100% tenu par l’image mais cet espace d’images ne peut plus être exploré sur le mode de la contemplation ». Il faut faire fonctionner l’artiste en des endroits importants de cet espace d’images.


Soulever à nouveau la question de notre implication politique dans le contexte de l’art contemporain.
Cette pièce que nous préparons prend son appui à partir de lectures et d’images qui ont nourri notre réflexion : Les écrits d’Annie Lebrun et Juri Armanda , ceux de Roland Gori, les documentaires d’Adam Curtis, Hypernormalisation ou The century of self ou encore le documentaire La fabrique du consentement de Jimmy Leipold qui retrace la démarche d’Edward Barnays, inventeur des relations publiques et grand manipulateur d’opinion, dévoilée dans son livre, Propaganda. Si le sujet est d’ordre plutôt dramatique, son traitement dramaturgique sera celui de l’humour inspiré de B. Brecht et du grand acteur comique Karl Valentin.
Ces lectures et ces films ont contribué à mettre en lumière un phénomène bien réel qui nous submerge : la part grandissante de l’information dans nos choix, supposés libres, révélant notre penchant à suivre l’avis majoritaire, à opter pour ce qui nous est prescrit et fabriqué par la publicité, à accepter la colonisation de nos esprits par les médias ou les « influenceurs » de réseaux sociaux. Grande est notre capacité à ajuster ce que nous pensons en fonction de ce qui nous est insidieusement demandé de penser en ralliement à l’avis général !


« Il faut choisir : se reposer ou être libre. »
Thucydide


Des expériences telles que l’Effet Koulechov, l’expérience de Milgram ou encore l’expérience de Asch ont révélé la capacité d’obéissance des individus, la soumission à l’autorité, l’influence du groupe sur ses propres convictions, la propension à s’aligner sur l’avis majoritaire. Plutôt que d’exprimer nos désaccords, nous sommes enclins à chercher le consensus, le compromis, à nous conformer à la demande et ainsi éviter les conflits avec pour principale stratégie celle du silence. Se taire pour pouvoir pencher le moment venu là où la situation sera la plus favorable. Spinoza nous a pourtant averti : « chaque chose autant qu’il est en elle s’efforce de persévérer dans son être ». Le conatus représente la forme la plus fondamentale de l’intérêt, l’intérêt de la persévérance, l’intérêt du maintien indéfini dans l’existence. Détermination et indétermination des choix qui se font « se faisant » et selon…...
Peu à peu, à partir de ces ouvrages, seront produites des actions de plateau qui formeront un fond sur lequel nous déposerons de façon empirique des éléments très hétérogènes - notre matière première – un fond dans lequel nous irons piocher ultérieurement des matières restées longtemps en suspens, en attente - avant d’être composées et recomposées les unes avec les autres par le travail de montage qui demandera à les reconsidérer, pour les mettre en vibration les unes avec les autres dans l’opération délicate d’un agencement critique qui dévoilera la plasticité des éléments en leur faisant dire tout et son contraire.
Faire un geste ou un son, le rendre lisible par la proximité avec d’autres éléments qui l’entourent : Il s’agira aussi de faire jouer le temps et l’espace, de prendre le temps d’y voir mieux, en incluant temps de la réflexion dans le jeu. Répéter une situation à l’identique, créer une illusion d’optique ou encore modifier très légèrement l’action avec une exactitude si précise que celui qui regarde soit mis en position de joueur en s’inspirant du jeu des erreurs. (deux images placées côte à côte et dans lesquelles, malgré une apparence identique, un certain nombre de différences ont été sciemment introduites.) Faire jouer le théâtre, faire croire, faire mentir, déstabiliser.
J’entends aborder tous les éléments d’écriture du plateau sans les hiérarchiser afin de laisser très ouverte la juxtaposition des éléments qui la constitueront. La question du corps étant centrale, faire intervenir des éléments physiques tels qu’accessoires, éléments de décors mobiles, costumes, qui placent ce corps dans des situations qui le mettent en mouvement déterminant ainsi ses actions. Une partie du travail consistera à faire interagir entre elles toutes ces matières, corporelles, vocales, musicales et plastiques, à la manière du Théâtre total d’A. Artaud. C’est ainsi que le langage se construira.
Travailler la durée, le timbre, le rythme, les flux, les dynamiques des sons et des gestes qui s’arrêtent, se fondent dans un autre, se répondent l’un l’autre, élaborer et mettre côte à côte des images et des situations qui les fassent « parler » en contradiction, un dialogue discontinu qui brouille les pistes de compréhension, dans un montage aléatoire et oscillant en aller-retour capable de troubler la raison et de faire douter celui qui regarde de ce qu’il croit voir, déstabiliser au point de faire penser: « je ne sais plus où j’en suis ».
Notre histoire est pleine de sons et d’images qui en ont submergés d’autres. Il y a ça au fond du travail, dans notre casserole, le rétablissement de quelque chose. Les morts, tous ceux qui sont morts depuis des siècles sont là sous nos pieds. De vrais corps qui sont en train de devenir poussière et qui ont laissé des traces. Laisser voir et augmenter les petites lumières qui brillent dans l’obscurité. La gaîté pénètre la douleur. L’humour nous sauve. La joie n’a pas de raison. Il faut la poser en premier.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.