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Littoral

+ d'infos sur le texte de Wajdi Mouawad
mise en scène Magali Léris

: De l'origine de l'écriture

Avant tout, il y a eu rencontre.
Isabelle Leblanc et moi, assis chez Isabelle, dans la cuisine, autour d'une bouteille de champagne, parce que cela faisait trop longtemps que l'on ne s'était pas parlé. Pas vus. Pas regardés. Il y avait donc, avant tout, une fille un peu écoeurée, assise en face d'un type un peu perdu. Entre les deux (juste à côté de la bouteille maintenant à moitié vide), la soif des idées. C'est-à-dire le désir de se sortir, de s'extraire d'un monde qui cherchait trop à nous faire croire que l'intelligence était une perte de temps, la pensée un luxe, les idées une fausse route. Il y avait donc deux personnes, l'une en face de l'autre, qui avaient elles aussi une soif insatiable de l'infini, cette soif que les chiens de Lautréamont portent au fond de leurs gosiers. Puis il y eut des comédiens et des concepteurs, des amis, des gens que nous aimions, qui nous bouleversaient, assis autour d'une table. Une question fut posée : Nous voici arrivés à notre trentaine. De quoi avons-nous peur ? Réfléchir autour de cette question, tenter, chacun à son tour, d'élaborer un discours, une pensée pour nommer ce qui se trame au fond de notre âme, nous a permis de mettre le doigt sur certaines choses essentielles. Invariablement, nous avons parlé de l'amour, de la joie, de la peine, de la douleur, de la mort. Aussi, nous avons réalisé que si nous avions peur d'aimer, nous n'avions pas peur de mourir, car la peur, en ce qui concerne la mort, tournait autour de nos parents, en ce sens que nous n'avions pas tant peur de notre mort que de la mort de ceux qui nous ont conduits à la vie, et dans la vie ; cela ne concernait pas uniquement nos parents naturels, mais aussi nos parents dans la création.


Lors de ces échanges, j'ai commencé à développer une idée pour un spectacle, née de mes lectures d’OEdipe, d’Hamlet et de l'Idiot, lectures qui m'ont permis de me rendre compte de ce qui unifiait ces trois géants. Non seulement tous trois étaient des princes (prince de Thèbes, prince du Danemark et prince Mychkine), mais de plus, tous trois étaient impliqués dans une relation étroite avec le Père. L'un a tué le sien, l'autre doit venger l'assassinat du sien et le troisième n'a jamais connu le sien. Enfin, il m'a semblé clair que ces trois personnages racontaient, d'une certaine manière, une histoire à relais. Si OEdipe est dans l'aveuglement, Mychkine, son opposé, est dans la pure clairvoyance ; quant à Hamlet, qui se trouve au centre, il est dans le profond questionnement entre la conscience et l'inconscience. Ainsi est née l'idée de créer un spectacle qui mettrait en scène un personnage qui, perdant son père, chercherait un lieu pour l'ensevelir ; lors de sa quête, il ferait la rencontre de trois garçons qui étaient, pour moi, chacun un reflet des trois géants.(...) A partir de ce moment, la voie semble claire : un homme cherche un endroit où enterrer la dépouille de son père ; il retourne au pays de ses origines, où il fera des rencontres significatives qui lui permettront de retrouver le fondement même de son existence et de son identité. Alors, l'écriture s'est mise en marche, assoiffée, hallucinée, solitaire.(...)


Littoral est donc né d'abord et avant tout d'une rencontre et a pris son sens par les rencontres. C'est-à-dire ce besoin effrayant de nous extraire de nous-mêmes en permettant à l'autre de faire irruption dans nos vies, et de nous arracher à l'ennui de l'existence. Littoral, de plus, par son sens, nous a permis de définir la vocation de la compagnie Ô Parleur, en l'ancrant définitivement dans un théâtre de prise de parole, d'abord et avant tout.


Wajdi Mouawad.
Extraits de la préface à Littoral

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