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Les Vainqueurs - La Couronne d'olivier

+ d'infos sur le texte de Olivier Py
mise en scène Olivier Py

: Entretien avec Olivier Py

par Jean-François Perrier

LE TITRE DE VOTRE ÉPOPÉE EST : LES VAINQUEURS… QUI DIT VAINQUEUR DIT COMBAT… DE QUELLE NATURE EST CE COMBAT ?


Olivier Py - C’est un combat poétique. La poésie n’est pas qu’une virtuosité langagière, une décoration du ressentiment ou une pommade culturelle, elle est un combat spirituel. C’est ça que les personnages, à travers tout le cycle, tentent de vivre et que, très énigmatiquement, j’appelle “vivre poétiquement”. Dans les aventures spirituelles qui se présentent à l’homme, il y a la philosophie, la religion et la poésie qui serait comme une troisième voie. Donc le héros, un génie sans oeuvre qui n’écrira jamais un seul poème, va tenter de vivre poétiquement ou plutôt de comprendre ce que voudrait dire ce “vivre poétiquement”. Trois pièces dans lesquelles cet aventurier prend trois identités différentes qui sont comme trois métaphores du poète.


QUELLES SONT DONC CES IDENTITÉS ?


D’abord un prince exilé qui revient dans son royaume pour rétablir la démocratie, comme tout bon prince exilé au XXIe siècle. C’est la fable éthique, et sur ce paradoxe se posent des questions d’ordre politique. La seconde, c’est la fable esthétique, après l’échec de cette révolution. Le prince change de sexe, devient une courtisane célèbre et cherche à conquérir le pouvoir suprême par la seule légitimité de l’Éros. Dans le troisième épisode, il devient un fossoyeur qui dialogue avec les morts, c’est la fable métaphysique. Ce parcours-là va nous permettre d’entrer plus avant dans le mystère de ce Sourire qui est l’emblème de l’oeuvre . Mais l’arme de ce personnage, c’est avant tout le théâtre, les masques. Toute la dramaturgie est construite sur une séparation entre les personnages et les “rôles”. Par exemple, le rôle de Cythère, la prostituée, sera récupéré par d’autres personnages. On crée ainsi une dramaturgie en miroir, où les personnages se volent leurs identités les uns les autres. Et cette façon de jongler avec les masques est la clef de ce “vivre poétiquement”.


ENTRE LA PREMIÈRE ÉPOQUE TRÈS CONTEMPORAINE DU MONDE DES VIVANTS ET LA TROISIÈME QUI SE PASSE DANS LE MONDE DES MORTS… OÙ SOMMES-NOUS DANS LA SECONDE ?


Les trois époques sont toutes très contemporaines. Dans mes travaux récents comme L’Apocalypse joyeuse, Le Soulier de satin ou dans mon travail à l’opéra, j’ai utilisé le XIXe siècle pour métaphoriser les XXe et XXIe siècles. Ici nous sommes dans le monde contemporain avec cette difficulté particulière qu’il faut imaginer une dramaturgie qui appartienne à notre temps mais qui s’interdise les questions de médias, impropres à la chose théâtrale. Il faut arriver à parler du monde télévisuel sans télévisions, sinon le théâtre ne fait pas le poids, car le théâtre ne sait qu’affirmer, il ne peut se contenter d’être contempteur du monde, il doit affirmer la beauté de l’être.


COMMENT S’INSCRIT CETTE ÉPOPÉE DANS L’ENSEMBLE DE VOTRE OEUVRE THÉÂTRALE ?


Il y a deux choses très différentes. La première, c’est que mes pièces précédentes n’étaient pas datées, ce sont des histoires qui peuvent se passer entre 1880 et 1980, alors que Les Vainqueurs parlent d’aujourd’hui, dans une sorte d’âpreté ou de violence même. La seconde, c’est que j’ai mis presque vingt ans à assumer dans mon geste d’écrivain la présence de la grâce et que je viens de me donner deux ans pour l’oublier. Cette oeuvre est la tentative désespérée d’être encore païen.


À LA LECTURE DE LA PIÈCE EN EFFET, ON NOTE CETTE ÉVOLUTION… EST-CE UNE PARENTHÈSE OU UNE NOUVELLE FAÇON DE VOUS PERCEVOIR ?


C’est tout simplement que la formule d’être un poète chrétien est devenue insupportable… Ces deux mots sont de plus en plus inconciliables pour moi… Le sacré s’oppose au saint. Le poème, c’est le dieu ancien. Il y a des personnages chrétiens, mais le héros central ne l’est pas. En vérité, ce poème exalte tout ce qui n’est pas chrétien en moi et que j’appelle “la Méditerranée”.


POURQUOI CETTE PART DE VOUS-MÊME APPARAÎT-ELLE MAINTENANT PLUS PARTICULIÈREMENT ?


Cela ne se commande pas, chacune de mes grandes épopées est le récit d’une expérience intérieure, risquée dans l’écrit. Pendant dix ans, on a pris ma catholicité soit comme une provocation soit comme une plaisanterie, et maintenant on la prend trop au sérieux. Il était donc temps de fuir. Pourquoi redire ce qui a été dit. Maintenant il faut que je donne la parole à mon ennemi intérieur pour qu’il puisse réfuter efficacement le Christ, et que je sois encore à l’épreuve du poème. Je cherchais une réfutation plus terrible que l’ignorance ou l’indifférence du monde séculier pour les vérités théologiques, plus terrible et plus joyeuse aussi ! En dialoguant avec Nietzsche je suis revenu à Orphée ! Pas celui du Visage d’Orphée, celui des Vainqueurs n’est plus “métaphysique” mais simplement “physique”. L’éternité, c’est sans doute attirant, mais on peut préférer une baignade dans la mer en juillet, on peut préférer la mort, et pourrions-nous faire de l’instant un paradis suffisant si nous n’étions pas mortels ? Voilà la chose poétique, toute jouissance vient de la mort, les dieux eux-mêmes parfois rêvent de notre caducité ; vivre suffit.


SI ON COMMENÇAIT UN ABÉCÉDAIRE SUR VOTRE PIÈCE, ON ABORDERAIT D’ABORD L’ARCADIE…


L’Arcadie, c’est un mélange des pays de la Méditerranée que j’ai visités : l’Algérie, la Yougoslavie, la Palestine, l’Italie… Il me fallait un pays qui ait tout traversé, tout connu : le communisme, le dégel, la montée des mafias, le déchirement communautariste… Le thème d’une Méditerranée perdue et rêvée est en harmonie avec l’idée d’un être poétique qu’il faut reconquérir. Je suis un pur produit de la Méditerranée, entre Oran, Naples, Barcelone et la Provence.


POUR LA LETTRE B, LE MOT QUI PARCOURT VOTRE OEUVRE POURRAIT ÊTRE “BEAUTÉ” ?


Je n’ai pas peur de la beauté. Peut-être parce que mon discours esthétique est toujours relié à une parole spirituelle. Pour moi, cette beauté est l’expression des vérités les plus indicibles, la théologie s’épuise là où l’esthétique commence, il s’agit d’affirmer la beauté du monde jusque dans le mal.


POUR LE E : “L’ÉPOPÉE” ?


Épopée, c’est très bien, car qui dit épique dit héros, et comme je suis post-moderne, j’aime la dimension héroïque. De la même manière qu’il y a dans l’opéra des “ténors héroïques”, j’aimerais qu’il y ait au théâtre des “acteurs héroïques… C’est sans doute la chose la plus scandaleuse de mon théâtre aujourd’hui cette présence des héros. C’est le combat de ces héros qui est important plus que leur succès ou leur échec, évidemment. Mais le théâtre doit parfumer nos possibles, nous apprendre à vivre. Qu’est-ce qui nous apprend à vivre si ce n’est le théâtre ?


LA LETTRE E POURRAIT AUSSI ÊTRE CELLE DE “L’ÉROS” ?


Plus que jamais dans Les Vainqueurs ! Surtout dans le second épisode où Éros fait tourner le monde. C’est l’alliance incompréhensible du sexe et de la mort qui est la seule vérité. Le sexe est destructeur, la puissance de l’Éros est une puissance de destruction et tout peut se résumer par luxure et désespoir. Le sexe est pour moi de l’ordre de l’épouvante, de l’effroi, et depuis toujours, on a commis une erreur d’interprétation en croyant que je faisais l’apologie de la débauche. L’éloge du théâtre est ma seule apologétique. La sexualité ne m’intéresse que parce qu’elle est théâtre. L’acteur est sans doute dans la même angoisse avant de jouer que les amants avant de faire l’amour. Dans les deux cas, on prend un masque ou on enlève un masque. On connaît une chose sans masque, Dieu peut-être, la Vie plus simplement.


À LA LETTRE G, SANS DOUTE LA “GRÂCE” ?


Oui, mais avec deux “s” comme ma ville natale… La grâce, c’est la rencontre de la joie, que mon théâtre a toujours voulu mettre au centre de la scène, bien qu’on ne puisse la représenter. Mais pourquoi être poète si on a la grâce ? Le poème suffit, il est le temple et le sacrifice et le dieu en un, ce que j’appelle Grasse.


À LA LETTRE I, PEUT ÊTRE LES INTERPRÈTES ?


Sans aucune démagogie, je dois dire que je dois tout à “mes” acteurs . De plus en plus, ce que je peux comprendre au théâtre, c’est ce que les acteurs m’en disent et qu’ils continuent à m’apprendre. J’écris le plus souvent avec en tête la voix d’un acteur, son phrasé, qui est un théâtre en soi. C’est son rapport à la parole qui produit de la pensée, la façon dont il s’empare du dire est la façon dont il vit, dont il conçoit le monde, et le regarder c’est apprendre à vivre. Sans Christophe Maltot, le plus grand acteur épique de sa génération, il n’y aurait pas eu Les Vainqueurs.


À LA LETTRE L… LA LANGUE ÉCRITE ?


La langue est le centre de la scène. Cela ne veut pas dire que je rejette les images ou les théâtres de l’image mais pour moi, la nourriture même, c’est la langue et tout le reste est là pour la rendre plus essentielle.


ALORS POUR S… SCÉNOGRAPHE ?


Je crois que Pierre-André Weitz, avec qui je travaille depuis plusieurs années, est un grand plasticien et un grand architecte… et aussi un peintre, surtout quand il crée des visages par les maquillages. Ses scénographies sont des questions de forme pure, donc des questions d’architecte. Si le théâtre est un art de la totalité, il est nécessaire d’avoir pour le pratiquer des artistes dans tous les domaines. Le monde qu’on propose doit être présent tout au long de la représentation dans une sorte de continuum, celui du rêve, où tout est en correspondance avec tout et chante l’unité perdue. C’est la grande force d’artistes comme Jan Fabre ou Romeo Castellucci, qui inventent un théâtre en soi, à partir de l’image. C’est ce que j’essayais de faire avec Jean-Luc Lagarce, quand nous tentions de rêver un théâtre à partir d’un poème, d’une soif de poème, qui soit le théâtre de toujours mais qui soit aussi celui de notre génération. Nous tentons de dépasser la forme exégétique d’un certain théâtre qui a dominé pendant très longtemps, un théâtre de la dramaturgie, un théâtre de répertoire.


A LA LETTRE S, CONCERNANT LES VAINQUEURS IL Y A AUSSI COMME MOTIF RÉPÉTÉ LE MOT “SOURIRE” ?


C’est la métaphore suprême des Vainqueurs, l’inexprimable sourire. À l’idée du sourire est toujours associée une sorte de force spirituelle. On va du sourire angélique au sourire du faune en passant par l’énigmatique sourire de la Joconde, et c’est toujours la même victoire, le même sourire du vainqueur, érotique, attirant, terrifiant. Un peu comme le sourire de l’acteur.


POUR U, IL Y A DES MOTS QUE L’ON RETROUVE TOUJOURS DANS VOS OEUVRES : UNIVERSEL, UNIVERSALITÉ…


Nous n’appartenons qu’à notre vérité, les communautarismes et les nationalismes m’horrifient. Et, au-delà de ce désir d’universel, c’est la totalité qui est désirée. Le théâtre appréhende la totalité de l’être, en ce sens, il appartient encore à un monde enchanté où toute chose s’inscrit dans un paysage. La Joie, c’est l’accession à cette connaissance, le monde n’est pas mis en pièce pour être vendu au non-sens, toute chose contribue à son achèvement, la cruauté et le rêve. Alors on peut s’écrier que le grand Pan n’est pas mort !


Propos recueillis par Jean-François Perrier

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