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Les Paradis aveugles

+ d'infos sur le texte de Thu Huong Duong traduit par Huy Dong Phan
mise en scène Gilles Dao

: Entretien 2

Entretien avec Gilles Dao


Bernard Magnier : Vous avez choisi de mettre en scène une adaptation des Paradis aveugles de la romancière vietnamienne Duong Thu Huong, pouvez-vous nous donner les raisons qui vous ont guidé vers ce texte et cet auteur ?


Gilles Dao : Choisir un texte, c'est mêler la part obscure, souterraine, intime, et ce que l'on croit reconnaître dans l'oeuvre : une dimension poétique, un monde, une vision, une façon de nommer, de trancher le réel, la singularité d'une construction dramatique, les résonances avec son propre travail...
Pour Duong Thu Huong, apparaît une évidence, la part biographique, à commencer par mon origine vietnamienne, et aussi mon engagement politique et le compagnonnage avec de vieux militants exilés. J’ai connu son oeuvre et même dit des extraits à l’occasion d’une performance avec un chorégraphe franco-vietnamien, Thierry Niang, et un musicien, Nguyen Lê. Sa trajectoire de romancière comme son combat m’ont fasciné. Aller à la rencontre de Duong, c’est poursuivre mon exploration des écritures contemporaines et mon dialogue avec un auteur vivant.


Pourquoi avez-vous choisi d’adapter son roman Les Paradis aveugles ?


Ce qui m’a séduit c’est ce destin d’une jeune femme des années quatre-vingt, ce portrait d’une génération, ce portrait d’un Vietnam méconnu, ignoré de l’Occident. Ce que j’ai aimé, c’est le regard qu’elle porte sur la société vietnamienne et son histoire, ce sont les déplacements qu’elle opère dans son écriture, déplacement géographique, raconter le Vietnam à partir de la Russie ; déplacements littéraires, loin du réalisme socialiste, au coeur même de la littérature.


Le choix d'un texte romanesque est-il pour vous le gage d'une plus grande liberté dans l'adaptation et dans la mise en scène ?


Non, mais cela induit d’autres problématiques de construction dramatique, de forme : comment traiter la narration, le récit ? Comment le traduire dans le jeu des acteurs ? Je crois qu’un texte romanesque nous place immédiatement dans cette relation à la partition et cela permet d’évacuer radicalement la psychologie des personnages.
Pour l’adaptation, j’ai invité Philippe Malone qui a dû abandonner son écriture et sa langue de dramaturge car la réalité poétique de Duong est puissante et emporte tout avec ses images, ses corridors, ses pentes, ses aspérités. Mais il est vrai que dans les choix de construction de l’adaptation sont inclus ceux de la mise en scène. Il est question de superpositions qui s’enchevêtrent, se mêlent et s’excluent.


Quels ont été vos partis pris dans l'adaptation du texte ?


Nous avons construit deux espaces symboliques, le voyage en train d’une petite ville de Russie vers Moscou où Hàng va rejoindre son oncle malade, et le Vietnam bruissant de tous les fantômes de sa mémoire ; le temps de la traversée de la Russie et le temps de la traversée de l’enfance.
Nous avons dédoublé le personnage en Hàng femme et Hàng enfant. Le présent est la langue de la Russie, la langue de Hàng femme, l’imparfait est la langue du Vietnam, la langue de Hàng enfant.
Nous avons découpé le récit et fait alterner la Russie et le Vietnam, la narration et les dialogues, en reliant les séquences par des associations d’images, de sensations, de leitmotivs, et parfois par la linéarité du récit. Nous avons introduit une parole chorale, chantée, et des poèmes, des slogans idéologiques. La narration peut prendre plusieurs formes : chantée, chorale, dialoguée, monologuée.
Nous avons privilégié les relations de Hàng avec son histoire familiale (sa mère, son père absent, sa tante paternelle, son oncle maternel) en faisant en sorte que la part intime et la part mythologique, fantasmée, historique, politique finissent par s’enchevêtrer.


Vous avez souhaité également la présence quasi-physique du Vietnam...


La nourriture, les repas, les odeurs, les sensations physiques occupent une place prépondérante.
Et en même temps, c’est un monde où il est question d’amaigrissement du corps comme de l’être, victime d’un double régime, alimentaire et idéologique.


Quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées ?


La construction du roman se complexifie au fur et à mesure que l’on avance dans le récit, et nous avons choisi une construction déchirée, non linéaire, avec pourtant la volonté de ne pas perdre le destin de ce personnage. Nous avons voulu équilibrer les parties descriptives et les parties dialoguées, équilibrer les agencements de temps et d’espace, les différents types de parole. Nous avons voulu rendre compte de la beauté et de la simplicité de cette écriture, simplicité de la fable et complexité de la forme.


Pouvez-vous nous donner votre interprétation du titre ?


Ce n'est pas tout à fait un oxymore, mais ça en a la force, l'intention, et l'ironie. Les « paradis » sont ceux de l'enfance, de la mère, et ceux... de la société communiste, fantasme d'une société idéale, usant de mysticisme et de fétichisme, un paradis où l'on n'est que ce que l'on mange, que ce que l'on possède. Dans ce paradis, ce que l'on mange ou ne mange pas, ce que l'on possède ou ne possède pas constitue la condition de l'existence, la mesure de l'humain, l'unique obsession, la mesure de tout. Amour, haine, honneur, humiliation se résument à un mot : manger. On donne la nourriture à ceux qu'on aime, on supprime la nourriture à ceux qu'on hait. On se pavane, on humilie avec de la nourriture.
« Aveugles » les parents qui dévorent leurs propres enfants, qui lèguent une malédiction. « Aveugles » ceux qui éliminent, tuent, effacent au nom des réformes, pour ensuite dans un deuxième temps rectifier leurs erreurs...


Propos recueillis le 4 juillet 2006

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